« On a des collègues qui ne dorment plus »… Les sangliers sont devenus le cauchemar des agriculteurs
La mise en scène était macabre. Ce lundi, des agriculteurs en colère ont déposé une dizaine de cadavres de sangliers devant les locaux de la Direction des territoires et de la mer (DDTM) de Rennes. Les yeux révulsés, le groin collé au bitume d’une zone d’activité, ces carcasses poilues ont été amenées dans un but clair : alerter l’État sur les ravages causés par ce cochon sauvage à la peau épaisse. « C’est un peu trash mais ça montre le niveau de ras-le-bol », explique Florian Denais. Cet éleveur de vaches laitières basé à Guipel est l’un des porte-parole d’une profession en colère.
Cette fois, ce n’est ni contre la concurrence déloyale des pays du Mercosur ni contre l’Union européenne qu’elle est en pétard. Mais bien contre une menace bien plus locale qui détruit ses cultures et son moral. Depuis des années, le sanglier fait des ravages dans les champs de Bretagne et de bien d’autres territoires agricoles français. « On a des collègues qui ne dorment plus. Au moment des semis de maïs, on travaille la journée. Et la nuit, on garde nos champs pour ne pas que les sangliers viennent bouffer tout le boulot. On a des personnes qui sèment trois fois et qui perdent tout. C’est écœurant », explique le paysan membre des Jeunes agriculteurs d’Ille-et-Vilaine.
Plus de 6.000 sangliers tués l’an dernier
La prolifération de l’espèce n’est pas une invention des campagnards, elle est bien réelle et connue de tous ceux qui traitent de près ou de loin de la question agricole. En Ille-et-Vilaine, 1.000 sangliers avaient été abattus en 2005. Un peu moins de vingt ans plus tard, le chiffre a dépassé les 6.000 spécimens « prélevés » en 2023. On dit « prélevé » mais ces animaux qui n’ont rien demandé à personne sont bien abattus, dans un cadre bien défini par la loi. Le problème, c’est que malgré ces prélèvements, leur nombre ne cesse de grimper. Et pas seulement en Bretagne, mais dans presque toute la France.
Partout où ils passent, c’est impossible de les rater. Dans les prairies, les sangliers retournent tout pour tenter de trouver des vers. Mais ils raffolent aussi du maïs et dévorent tout. « En une nuit, ils peuvent bouffer des hectares », témoigne Yves Rolland, agriculteur à Paimpont et responsable de la section « dégâts ». Lui et sa femme « n’en peuvent plus » des ravages causés par le sanglier. L’an dernier, 87 % des 500.000 euros de dégâts subis étaient imputables au repas préféré d’Obélix.
Les « bracelets » doivent être gratuits
Une situation compliquée à gérer pour les paysans, qui se retrouvent tributaires de la volonté des chasseurs de faire du sanglier. « Il faut passer à une chasse de régulation et plus à une chasse de loisirs », tente d’expliquer Paul Rapion, directeur adjoint de la DDTM 35. Insuffisant pour calmer les paysans. Après avoir redécoré l’entrée de l’administration publique, le convoi de manifestants s’est dirigé vers les locaux des dirigeants de la fédération de chasse du département, histoire de demander des comptes à leurs dirigeants. « Les associations de chasse, ça leur coûte de l’argent d’en tuer. C’est 40 euros le bracelet (40 euros par sanglier tué pour faire simple). C’est du délire. Nous, ce qu’on veut, c’est que ce bracelet soit gratuit pour qu’on arrive à réguler les populations. On a des battues tout le temps mais on en voit toujours de plus en plus », explique Florian Denais.
La réponse pourrait aussi venir du classement de l’animal comme Espèce susceptible d’occasionner des dégâts (Esod) dans tout le département. Une classification qui facilite les tirs, à condition que les chasseurs soient intéressés. « On a de plus en plus de mal à les convaincre de venir au sanglier. Il y en a trop, tout le temps », reconnaît Antonin Jouquan, éleveur de Dol-de-Bretagne et chasseur. Le problème, c’est que les fameux « bracelets » payés par les chasseurs pour tirer les bêtes sauvages sont là pour financer les dégâts causés aux éleveurs. Si ces bracelets sont gratuits, qui va indemniser les agris sinistrés ?
Tuer, oui, mais « vite et fort »
Antonin, comme nombre de collègues de la profession, milite pour que les « prélèvements » soient facilités afin de réduire « vite et fort » les populations. D’autant que ces demandes ne se confrontent pas à une grande mobilisation de la population, peu sensible au sort de cet animal vu comme un nuisible. Parce qu’il n’est pas mignon et qu’il est aussi connu pour défoncer les pelouses des ruraux que les pare-chocs des automobilistes qui ont le malheur de le croiser. Le pouvoir de décision serait entre les mains des responsables des fédérations de chasse, qui sont les seuls à pouvoir faire grimper les quotas de gibier chassés. Et à entendre les agriculteurs, il y a urgence à statuer.