Bretagne : Comment les sardinières « exploitées » de Douarnenez ont fait plier le patronat
Rebelle, militante, artistique, solidaire et accueillante. Dans le Finistère sud, la ville de Douarnenez, Douarn pour les intimes, cultive sa singularité. Allez donc faire un saut début mars au carnaval déjanté des Gras pour vous plonger dans l’ambiance rock’n’roll de cette ancienne cité ouvrière qui, malgré la gentrification et le tourisme de masse qui la rongent, a su garder sa forte identité. Ce caractère bien trempé, elle le doit à son passé maritime et à la pêche à la sardine qui a fait la fortune du port, capitale mondiale de la conserve de poisson à la fin du XIXe siècle. Mais aussi et surtout au combat et à la grève de ses sardinières dont on célèbre cette année le centenaire et qui reste gravée dans l’ADN de la ville.
Rembobinons donc pour nous retrouver en 1924. A l’époque, Douarnenez comptait une vingtaine de sardineries employant plus de 2.000 employés, dont trois quarts de femmes. Les hommes en mer, il revenait donc à leur femme, leur mère ou leurs filles de nettoyer les sardines, les faire frire dans l’huile avant de les mettre en conserve. Un travail pénible pour ces ouvrières portant la coiffe et des sabots, surnommées les Penn Sardin (tête de sardine en breton), qui trimaient parfois jusqu’à seize ou dix-huit heures d’affilée au milieu des entrailles de poiscaille.
Un travail épouvantable et payé une misère
« Elles devaient travailler dès le plus jeune âge, très souvent de nuit et jusqu’à épuisement », relate Nina Montagné, réalisatrice du documentaire Le chant des sardinières qui sera diffusé ce dimanche midi dans l’émission « Littoral » de France 3. « Quand l’inspecteur du travail débarquait, les petites filles, parfois âgées de 10 ans, devaient se cacher », poursuit-elle. Ce labeur dans des conditions épouvantables était également payé une misère, 80 centimes de l’heure. Trop peu pour ces sardinières sans le sou qui décident le 21 novembre 1924 de lancer une grève.
Le mouvement de grogne démarre d’abord à l’usine métallurgique Carnaud avant de rapidement faire tache d’huile dans les conserveries de la ville. Entonnant des chants révolutionnaires, les sardinières défilent par centaines en sabots sur les quais de Douarnenez avec un mot d’ordre : « Pemp real a vo » (« cinq sous nous aurons ! »), soit une augmentation de 45 centimes par heure. « C’était une grève de la misère pour sortir de l’indignité », souligne Françoise Pencalet, docteure en histoire.
Le patronat fait appel à des briseurs de grève
Assez vite, les hommes, marins ou paysans, rejoignent le mouvement qui prend une ampleur nationale grâce au soutien de personnalités comme le militant communiste Charles Tillon, futur résistant et ministre, ou Lucie Colliard, membre du comité directeur du PCF et activiste féministe. « On peut le voir comme une grève féministe aujourd’hui mais c’était à l’époque un mouvement porté par des femmes révoltées par leurs conditions de travailleuses exploitées », précise Françoise Pencalet.
Alors que la mobilisation se prolonge, beaucoup pensent que le combat est perdu d’avance. Car elles sont en face d’elles « un patronat intransigeant qui n’a pas hésité à user de la violence en faisant appel à des briseurs de grève pour casser le mouvement », raconte la docteure en histoire. Après de violents affrontements le 1er janvier 1925 dans un café de la ville, où le maire est gravement blessé par balle, les patrons d’usines, sous pression, doivent céder.
Le chant des sardinières continue de résonner
Au bout de six semaines de combat, les sardinières peuvent crier victoire avec un accord, signé le 6 janvier, portant leur salaire à un franc de l’heure avec une majoration des heures supplémentaires et de nuit. « Elles n’ont pas obtenu autant qu’elles voulaient mais elles ont montré la voie ensuite à d’autres ouvrières sur le littoral finistérien », salue Françoise Pencalet.
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Un siècle après cette grève historique et victorieuse, récemment décrite par le journal britannique The Times comme « l’un des événements les plus importants de l’histoire du travail des femmes en Europe », le chant de ses sardinières continue toujours de résonner dans les trois ports et les rues de Douarnenez. « Cela fait partie de notre histoire, de notre patrimoine immatériel et il nous faut entretenir cette mémoire », assure Françoise Pencalet, membre du collectif « Pemp real a vo » qui s’est monté l’année dernière pour célébrer le centenaire des sardinières.