Vendée Globe 2024 : Les skippeurs préservent-ils leurs proches des mauvaises nouvelles en mer ?
Il ne lui en faut pas beaucoup à Clara Colman pour avoir le palpitant qui fait des sauts de cabri à répétition. Il lui a suffi de voir Maxime Sorel abandonner, quelques jours après s’être bousillé la cheville sur son bateau pour avoir des petits haut-le-cœur. Car au moindre pépin qui frappe l’un des concurrents de la course autour du monde en solitaire, la femme de Conrad ne peut s’empêcher « de penser à ce qui pourrait se passer » pour son homme, qui dispute son deuxième Vendée Globe.
Il faut dire que le Néo-Zélandais a souvent éprouvé le cœur de son épouse en partant braver les océans, comme sur le Vendée Globe 2016, où il était passé par-dessus bord après une manœuvre qui l’avait éjecté de son bateau. Heureusement, il avait pu remonter sur son Imoca et finir la course. Huit ans après, Conrad Colman, au beau milieu de l’Atlantique, solide sur ses appuis, se souvient de cette mésaventure :
« J’avais mis ma vie en péril, mais j’avais décidé de ne le dire à personne, je ne voulais pas inquiéter ma femme. Sauf que j’ai oublié que je n’en avais pas parlé, et j’ai sorti cette histoire durant la conférence de presse à l’arrivée de Vendée Globe. Ma femme et tous mes proches présents m’ont regardé d’une façon bizarre, en mode « t’es taré ou quoi ». »
Des discussions en amont de la course
« Quand je l’ai appris durant cette conférence de presse, ça m’a choquée, nous raconte aujourd’hui Clara Colman. Je suppose que c’était un peu l’émotion d’entendre ça. Il y a plein de sentiments qui se sont mélangés, mais j’étais très énervée. Il a fallu crever l’abcès. On en a discuté et il a reconnu qu’effectivement, peut-être que me prévenir avant la conférence de presse, ça aurait été pas mal. » Comment ça avant la conférence de presse ? Pas juste après l’accident ?
Et bien non. Car le couple, après une sorte de Conseil de sécurité de l’ONU conjugal, a décidé d’éviter d’aborder les sujets qui fâchent quand monsieur part en mer. « S’il y a des situations qui le mettent vraiment en danger, mais qu’au final, tout va bien, effectivement, il ne m’en parle pas, assure Clara Colman. Moi, ça ne m’apporte pas grand-chose, à part me rajouter un stress que j’ai de toute façon toujours un peu présent. »
« C’est une question de confiance »
Alors comment gérer au mieux l’inquiétude des proches restés à terre. Peu de skippeurs adoptent la stratégie de l’aveuglement utilisée par le couple Colman, mais la façon de raconter les « mauvaises » nouvelles diffère dans la flotte. Quelques heures après avoir abandonné, à cause d’une grosse blessure à la cheville qui l’empêchait de faire des réparations sur son Imoca, Maxime Sorel (V and B-Monbana-Mayenne) nous a raconté avoir expliqué tout en détail à ses proches :
« Je préfère tout dire. Là, j’ai dit « j’ai pris un coup à la cheville, j’ai mal, mais je ne sais pas comment ça va évoluer ». J’envoyais des photos toutes les douze heures à l’équipe médicale de l’organisation, mon staff, mes proches pour voir l’évolution sur la cheville. Si tu sais que la personne, potentiellement, peut te cacher des choses ou tu vois qu’elle ne te dit pas tout, ça peut t’inquiéter davantage. C’est une question de confiance. »
La confiance, le mot revient énormément au moment de discuter avec les marins et leur entourage. Partir pour trois mois en mer, sur des bolides, dans des conditions parfois compliquées et dangereuses, cela peut vous faire passer quelques nuits blanches. Et encore plus quand vous vous trouvez dans l’encadrement de l’équipe, à l’image de Servane Escoffier, la compagne de Louis Burton et team manager de Bureau Vallée : « Quand il y a un souci sur le bateau, sur le moment, depuis quinze ans que c’est dans mon rôle, j’arrive à faire d’abord l’urgence et j’ai réussi à gérer et mettre les émotions de côté. Mais ça ne veut pas dire qu’à postériori je n’en ai pas. »
« On ne cache rien aux enfants »
D’autant qu’elle doit également, pendant le Vendée Globe, gérer les émotions des enfants et les tenir au courant de possibles incidents. « Si jamais c’est très très compliqué, les enfants ne vont pas rester à la maison, ajoute celle qui est aussi navigatrice. Lundi soir [quand Louis Burton a été victime d’une avarie], les deux sont allés dans une bulle de douceur chez mon père. Par contre, on ne leur a jamais rien caché. Mon téléphone est systématiquement allumé, ils me voient très régulièrement au téléphone la nuit pour des petits incidents ou des choses ennuyeuses. »
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Si Louis Burton et Servane Escoffier choisissent de tout se dire, sans prendre de pincettes, pour que l’équipe soit la plus réactive possible, Eric Bellion (Stand as One), lui, préfère ménager le chou et la chèvre. « Sachant que c’est ma femme qui répond à la hotline, je vais tout dire. Après, je fais très attention à la manière de le dire, avec un ton positif. Je ne suis pas alarmiste tout de suite. Je peux aller dormir une demi-heure et appeler après. Après, si ma vie est en danger, j’appelle tout de suite. »
Qu’il y ait une totale transparence dans le couple ou pas, les proches restés à terre savent, de toute façon, que le métier est à risque. « On est conscient que ce sont des humains sur des très gros bateaux avec des conditions météo qui sont incontrôlables, constate Clara Colman. Quand il y a quelque chose qui ne va pas, en général, l’effet domino est assez violent. » Et elle n’a pas eu besoin d’un aveu non contrôlé en conférence de presse pour le savoir.