« En termes d’impact sur notre société, les trafics de drogue, c’est comme s’il y avait un attentat tous les jours »
La Commissaire nationale drogues, Ine Van Wymersch, se dit extrêmement consciente de l’ampleur de l’implication de jeunes dans les trafics de stupéfiants. Pour elle, il s’agit de problème de société dont il est important de prendre conscience et qui doit impliquer tout le monde. Sans quoi, la lutte contre ces réseaux sera compliquée.
- Publié le 23-11-2024 à 07h14
Depuis environ deux ans, les faits de violence en lien avec des organisations impliquées dans le narcotrafic se multiplient en Belgique, singulièrement à Anvers et à Bruxelles. Notre pays est tristement surnommé « narco-état » pour les violences qui se multiplient dans le milieu de la drogue. Mais aussi et surtout parce que le port d’Anvers est la principale entrée en Europe de la cocaïne, la drogue au cœur de la plupart des trafics.
Et ces trafics sont extrêmement lucratifs. La Libre a appris à bonnes sources qu’un hotspot – ou point de deal – dans la capitale rapporte entre 50 000 et 120 000 euros par jour. Des chiffres qui donnent le tournis, et qui permettent de mieux comprendre les enjeux derrière les guerres de territoire. Dans un tel contexte, l’enrôlement de mineurs d’âge, et surtout de mineurs étrangers non accompagnés (Mena) présente un intérêt stratégique pour les trafiquants puisque ces jeunes, généralement hors des radars de la police et de la justice, échappent à la vigilance des autorités.
guillement « Ils ne sont plus de simples guetteurs ou des vendeurs, ils sont également utilisés pour des opérations où la violence n’a pas de limite. La situation n’est pas comparable à la France, mais nous ne devons pas attendre d’en arriver là pour se demander quoi faire. Et, je vous l’assure, nous y travaillons. »
La commissaire nationale drogue, Ine Van Wymersch, se dit consciente de l’ampleur de la situation. « Ils ne sont plus de simples guetteurs ou de simples vendeurs, ils sont également utilisés pour des opérations où la violence n’a pas de limite. La situation n’est pas comparable à la France, mais nous ne devons pas attendre d’en arriver là pour se demander quoi faire. Et, je vous l’assure, nous y travaillons. »
Ine Van Wymersch insiste sur un élément : si la situation des Mena est préoccupante, la plupart des mineurs que les autorités épinglent dans les dossiers de stupéfiants sont bel et bien des jeunes Belges, pas non des jeunes étrangers. « Aucun élément chiffré ne permet d’affirmer que les Mena sont plus concernés que des jeunes d’ici. La seule évidence, c’est que ce sont des jeunes, de façon globale, qui sont de plus en plus utilisés ».
guillement « Aucun élément chiffré ne permet d’affirmer que les Mena sont plus concernés que des jeunes d’ici. La seule évidence, c’est que ce sont des jeunes, de façon globale, qui sont de plus en plus utilisés ».
S’y attaquer dès les premiers signes, comme pour le terrorisme
Ine Van Wymersch voit dans le schéma organisationnel des réseaux de narcotrafiquants des similitudes avec les organisations terroristes. « Il y a les mêmes méthodes de recrutement via les réseaux sociaux, la même codification des messages envoyés. Et il y a aussi une radicalisation de la violence, observe celle qui est par ailleurs magistrate. Nous n’avons pas encore assez de recul pour tenter de lutter contre cela, mais je pense que nous devons nous inspirer de ce qui a été fait pour lutter contre le recrutement des jeunes dans les milieux djihadistes. C’est-à-dire qu’il faut arrêter de penser à des interventions a posteriori, quand le mal est fait, mais réfléchir aux façons d’intervenir avant le passage à l’acte. Pour cibler un jeune radicalisé, on s’intéressait beaucoup aux premiers signes de radicalisation. Le même exercice doit être fait avec ceux qui, en rue, sont attirés par le monde des stupéfiants. »
guillement « Je pense que nous devons nous inspirer de ce qui a été fait pour lutter contre le recrutement des jeunes dans les milieux djihadistes. C’est-à-dire qu’il faut arrêter de penser à des interventions a posteriori, quand le mal est fait, mais réfléchir aux façons d’intervenir avant le passage à l’acte. Pour cibler un jeune radicalisé, on s’intéressait beaucoup aux premiers signes de radicalisation. Le même exercice doit être fait avec ceux qui, en rue, sont attirés par le monde des stupéfiants. »
Elle ajoute : « Nous avons travaillé sur la menace terroriste et nous continuons à le faire, mais il ne faut pas négliger la menace extrêmement importante qu’est le crime organisé. En termes d’impact sur notre société, c’est comme s’il y avait un attentat tous les jours. Nos jeunes sont embrigadés et risquent de devenir les grands criminels de demain. De l’argent est blanchi en grande quantité, de la drogue circule et est consommée par de plus en plus de gens. Tout cela crée un contexte de violence dans les rues où nous circulons, tous. Donc, c’est un problème qui nous concerne tous ».
Pour une approche multidisciplinaire
Selon Ine Van Wymersch, il ne faut donc pas compter uniquement sur la police et la justice pour intervenir, mais penser à un travail multidisciplinaire plus fort. « Je pense notamment aux travailleurs sociaux sur le terrain. Il y a également un volet sanitaire qui doit nous pousser à travailler davantage avec le monde médical. »
Et de conclure : « Malheureusement, on considère encore souvent que ce sont des trafiquants qui s’entretuent, et donc que cela ne nous concerne pas. Dans la même logique, le sort des Mena n’intéresse pas grand monde, et tant qu’on ne considérera pas qu’un enfant n’est rien d’autre qu’un enfant, nous n’avancerons pas. C’est un peu bateau à dire, mais ces jeunes qui arrivent ici sans rien ont surtout besoin d’amour, d’un foyer, d’un nid. Si notre société n’est pas capable de leur offrir cela, ce sont les organisations criminelles qui les utiliseront comme des petites mains. »