Violences sexuelles : La championne de France Marie Rabatel se bat pour les personnes handicapées
«Il faut prévenir, sensibiliser, en parler. C’est aussi comme ça qu’on pourra protéger les potentielles victimes des prédateurs », lance Marie Rabatel, 49 ans, ancienne athlète de haut niveau, experte sur le sujet des violences et du handicap.
Ce jour-là, elle intervient à Villeurbanne, près de Lyon, à la suite de la projection de Cassée debout, un documentaire qui met en avant, entre autres, les violences exercées sur les personnes en situation de handicap à travers son histoire, elle-même autiste et survivante de viol, notamment grâce au sport.
De « nulle » à « championne »
Marie Rabatel, hospitalisée régulièrement dès son enfance, a été victime de harcèlement scolaire en primaire. Elle s’en est sortie grâce au sport, au collège à l’UNSS, devenant plusieurs fois championne de France de lancer de disque. « Je suis passée de la « débile », la « nulle », à la « championne », énumère-t-elle. Je ne me suis jamais sentie handicapée quand je pratiquais mon sport. J’étais acceptée et pas rejetée. »
De son expérience, cette Iséroise autiste décide de devenir éducatrice spécialisée et d’aider les enfants en situation de handicap en s’émancipant grâce à la pratique sportive. « L’idée de ces sessions était de permettre aux enfants de redevenir acteurs de leur corps, de gagner en pouvoir décisionnel et en autonomie, développe-t-elle. Depuis toujours, on leur apprend que leur corps est à la merci des adultes, des professionnels et on décide pour eux. »
Avant d’ajouter : « Oui, car, quand on est une personne handicapée, on nous apprend à être soumis à la voix de l’adulte, à celui qui décide, au lieu d’être dans un apprentissage au pouvoir décisionnel. On décide toujours à notre place, parfois en pensant bien faire, même en tant qu’adultes. Ce qui rend très vulnérable aux violences sexuelles », assure-t-elle, rappelant que la question du consentement est, de fait, très compliquée à intégrer pour les personnes handicapées. « Comment répondre non ou comprendre qu’on a le droit de refuser lorsqu’on nous a toujours appris à répondre oui ? », interroge-t-elle.
Le suicide ne fait pas « taire la souffrance »
Pendant ces quinze ans comme éducatrice spécialisée, Marie Rabatel remarque « beaucoup de violences ». « J’ai surtout constaté qu’un enfant victime avait peu de chance d’être entendu dans ces fonctionnements institutionnels. Leurs droits à la protection et l’expression avaient peu de chance d’être respectés », affirme-t-elle.
Elle-même victime de viol lorsqu’elle avait 12 ans, par un voisin de ses grands-parents, son traumatisme commencera à être traité seulement vingt-cinq ans plus tard, grâce à un séjour dans une clinique spécialisée au psychotrauma qui lui fait comprendre que « rien de tout ça n’était de sa faute » et que « le suicide n’était pas la solution pour faire taire sa souffrance ». Elle décide alors de faire de toutes ces injustices, son combat pour rester en vie.
« J’ai d’abord été confrontée à la difficulté d’accès aux soins pour une personne handicapée mais aussi au manque de connaissances du psychotraumatisme chez les personnes autistes. Je me suis alors dit que des parcours comme le mien ne devraient plus exister. Aujourd’hui, je veux que mon témoignage serve à améliorer les choses, pour que chaque personne confrontée à des violences puisse bénéficier d’un accompagnement véritablement adapté, sans obstacles supplémentaires », s’exclame-t-elle.
En 2016, face à tous ces constats, elle co-crée l’association francophone de femmes autistes (AFFA). Elle commence alors à sensibiliser et alerter les politiques publiques sur le sujet tout en étant sur le terrain auprès des enfants, des familles et des professionnels.
Des avancées mais « un chemin de longue haleine »
Elle devient alors membre expert sur les violences au comité interministériel du handicap et permet une prise de conscience réelle de ces nombreuses victimes invisibles. Ainsi, des actions concrètes sont mises en place comme les centres Intimagir, des lieux dédiés au développement de la vie affective, sexuelle, familiale et lutte contre les violences pour les personnes en situation de handicap. Mais aussi la multiplication du dispositif Handigynéco, qui apporte un suivi aux femmes en situation de handicap au sein des institutions mais aussi de prévention des violences sexuelles. Elle s’est également penchée sur la création de « fiches réflexes » pour les forces de l’ordre et un protocole d’audition adaptée aux personnes handicapées victimes de violence.
Marie Rabatel a aussi contribué à l’écriture d’une circulaire à destination des établissements médico-sociaux pour leur rappeler leurs devoirs au niveau de la lutte contre les violences sexuelles et le droit à l’intimité. En effet, plus de 35 % des viols sur mineur en situation de handicap enregistrés par les services de sécurité ont eu lieu au sein d’un établissement (IME, ESAT, hôpitaux). « Et combien de viols sont restés sous silence ou ne seront jamais révélés ou des victimes jamais crues ? », lance-t-elle.
Notre dossier sur les violences sexuelles
Avant d’admettre : « Il y a des avancées petit à petit. On partait de presque zéro. Mais c’est un chemin de longue haleine. Et je voudrais rappeler que ce n’est pas parce qu’on ne parle pas, qu’on n’a pas des choses à dire. »
*Ce samedi, dans de nombreuses villes de France, des manifestations contre les violences sexistes et sexuelles se tiennent. A Lyon, le cortège part de la place Belcour à 15 heures, à Paris, le rendez-vous est donné à 14 heures devant la gare du Nord.