Jacqueline Galant : “Il n’est pas normal qu’un seul homme, Jean-Paul Philippot, décide de pratiquement tout à la RTBF”
En charge des Médias au sein du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Jacqueline Galant (MR) exerce la tutelle sur la RTBF. Elle a d’ores et déjà entamé des pourparlers avec Jean-Paul Philippot, patron de l’audiovisuel public. Dans une interview à « La Libre », elle parle aussi des médias de proximité et de la presse écrite.
- Publié le 23-11-2024 à 07h02
- Mis à jour le 23-11-2024 à 07h04
Vous avez entamé, depuis quelques semaines déjà, des discussions avec l’administrateur général de la RTBF, Jean-Paul Philippot. De quoi avez-vous principalement parlé jusqu’ici ?
Quand on prend des fonctions ministérielles, il est important de rencontrer les différents interlocuteurs. Monsieur Philippot faisait partie des personnes que je devais rencontrer. La RTBF est le média public de la Fédération Wallonie-Bruxelles. On s’est donc vu très vite et on se voit très régulièrement.
Il a d’abord fallu qu’il digère le chapitre que la Déclaration de politique communautaire (DPC) consacre à la RTBF… L’heure est aux économies !
J’ai beaucoup d’estime pour Jean-Paul Philippot. On apprend à se connaître dans un dialogue constructif. Les économies à faire sont importantes. Il y a, en tout cas, la volonté de travailler ensemble. Il faut aussi, avec tout le respect que j’ai pour M. Philippot, absolument revoir le règlement d’ordre intérieur du futur conseil d’administration (CA) de la RTBF. Il n’est pas normal qu’un seul homme décide de pratiquement tout à la RTBF.
« Si on prend l’exemple de l’achat des droits sportifs, c’est l’administrateur général qui décide. Le CA de la RTBF ne doit plus être une chambre d’entérinement. Il doit être un conseil d’administration qui, comme son nom l’indique, administre la boîte et prend des décisions stratégiques. »
Le CA de la RTBF n’a pas de pouvoir de décision ?
Dans les faits, toutes les décisions ayant un réel impact sur la RTBF sont prises par Jean-Paul Philippot. Si on prend l’exemple de l’achat des droits sportifs, c’est lui qui décide. Le CA de la RTBF ne doit plus être une chambre d’entérinement. Il doit être un conseil d’administration qui, comme son nom l’indique, administre la boîte et prend des décisions stratégiques.
Vous voulez, donc, que ça change ?
Le choix des nouveaux administrateurs, qui relève des partis, sera important. Il faudra, ensuite, que des règles de bonne gouvernance soient mises en place. Dans aucune structure, publique ou privée, vous n’entendez qu’une seule personne décide de tout, d’autant plus quand les décisions portent sur des engagements financiers importants. Jamais. Quand j’ai appris la manière dont fonctionnait le CA, j’ai trouvé ça incompréhensible.
On parle de Joëlle Milquet à la présidence du CA. Vous êtes prête à travailler avec elle ?
Quel que soit le choix, je travaillerai avec la ou le président du conseil d’administration.
De quels autres sujets avez-vous déjà parlé avec l’administrateur général de la RTBF ?
Dès ma prise de fonction, je lui ai dit qu’il était important de revenir aux fondamentaux de la RTBF : l’information, la culture et l’éducation. La RTBF doit se recentrer sur ces missions et arrêter de trop se disperser. La DPC est très claire sur ce point.
Une autre personne a aussi été très claire par rapport à la RTBF et cela, depuis un certain temps déjà : c’est votre président, Georges-Louis Bouchez. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans différentes interviews, il s’est montré très critique par rapport aux médias, en général, et à la RTBF, en particulier, quant à un manque de pluralisme en matière d’information. Est-ce que vous partagez, comme ministre MR en charge des Médias, cette critique ?
La RTBF a un contrat de gestion (adopté sous la précédente législature et portant sur la période 2023-2027, NdlR). Avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement, ce contrat de gestion sera amendé par rapport au recentrage sur les missions fondamentales et au pluralisme. Le pluralisme sera respecté, tout comme l’indépendance éditoriale de la RTBF. Je ne me mêlerai jamais d’éditorial.
Vous avez pourtant été accusée d’interventionnisme à l’occasion de tweets publiés en réaction à une émission de la RTBF sur le racisme… C’était une maladresse de votre part ?
Pas du tout. Ce que j’ai voulu mettre en avant est que, justement, la RTBF doit faire attention à respecter le pluralisme et ne pas faire passer une interview pour de l’information alors qu’il s’agissait, très clairement, d’une tribune. C’est juste cela que j’ai critiqué. Il faut vraiment que la RTBF fasse attention. Une information doit être traitée à sa juste valeur et à sa juste mesure. Il est essentiel, à l’égard de la population, de baliser ce qui relève de l’information ou de la tribune d’opinion.
Était-ce votre rôle d’intervenir ?
Oui ! J’ai également saisi le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) pour qu’il donne un avis. On attend sa réponse.
Au-delà du cas de la RTBF, considérez-vous qu’il y a un manque de pluralisme des médias en Belgique francophone ?
Une étude récente de Reuters révèle, en tout cas, le manque de confiance des gens par rapport aux médias. Il n’y a plus qu’un seul francophone sur trois qui fait confiance aux médias, ce qui est très faible. Nous sommes dans la Semaine de l’éducation aux médias et il est important que les médias s’interrogent sur la manière dont ils remplissent leur mission d’information. C’est très important de former les jeunes à l’esprit critique dans un monde où, avec les smartphones et les tablettes, l’accès à l’information est devenu très facile. Il faut que les médias traditionnels jouent pleinement leur rôle dans cet environnement.
« J’ai dit à Jean-Paul Philippot que la réintroduction de la pub dans la « Matinale » de La Première pouvait être un moyen de compenser les économies à faire par la RTBF au cours de la législature. Je n’ai aucun tabou sur la bonne publicité à la RTBF. »
Allez-vous demander à la RTBF, comme cela avait été le cas sous la précédente législature, de réduire la part de la publicité dans ses recettes ? La pub a, par exemple, été interdite dans la « Matinale » de La Première.
Non, au contraire. J’ai d’ailleurs dit à Jean-Paul Philippot que la réintroduction de la pub dans la « Matinale » pouvait être un moyen de compenser les économies à faire par la RTBF au cours de la législature. Je n’ai aucun tabou sur la bonne publicité à la RTBF.
À propos du recentrage de la RTBF sur trois missions fondamentales (information, culture et éducation), qu’advient-il du divertissement sur les médias publics ?
Il faut, d’abord, se recentrer sur ces trois missions fondamentales avant de vouloir s’étendre à d’autres domaines. Faut-il autant de chaînes TV ? Autant de radios ? La réflexion doit être globale. L’heure est aux économies, partout. La RTBF, en supprimant les nominations depuis longtemps, a d’ailleurs prouvé qu’il était possible de mettre en place une autre gestion des ressources humaines.
Vous regardez régulièrement la RTBF ?
Je n’ai pas beaucoup le temps… Mais je vais vous donner tout de même un exemple très concret. Le 1er novembre, j’ai regardé la chaîne Tipik qui est censée attirer les jeunes. Et je tombe sur « Affaire conclue ». Est-ce vraiment le genre d’émission qui attire la jeunesse ?
Les jeunes regardent beaucoup le sport sur les médias audiovisuels. M. Bouchez a dit que la RTBF avait tendance à surenchérir, par rapport à RTL Belgium et d’autres plateformes privées, dans l’acquisition des droits sportifs. Vous voulez « privatiser » l’accès aux grands événements sportifs ?
Il n’y a rien de gratuit. Les droits sportifs peuvent être très, très chers, et je rappelle qu’ils sont acquis par la RTBF avec de l’argent public. La RTBF doit-elle tout acheter ? Tous les matchs de la Coupe du monde de football ? Les médias doivent pouvoir travailler les uns avec les autres et ne pas vouloir tout accaparer. Le public doit collaborer avec le privé et partager, surtout en ce qui concerne les droits sportifs. Ce n’est tout de même pas une tare de collaborer avec le privé.
La RTBF entre aussi en concurrence avec les éditeurs de presse écrite. Selon ces derniers, la chaîne publique exerce une concurrence déloyale en publiant sur son site web des articles gratuits.
J’ai rencontré les éditeurs qui ont en effet l’impression qu’il existe une concurrence déloyale. Notre volonté, c’est que personne ne se marche sur les pieds. On travaille toujours sur le dossier. La presse écrite souffre et il faut absolument que les médias puissent travailler ensemble.
« J’aimerais qu’on arrive à une télé locale par province. Ce sera sans doute compliqué car il y a des résistances locales, notamment dans le chef des mandataires politiques, mais on va y travailler. »
La Déclaration de politique communautaire prévoit d’établir un cadre permettant des « fusions volontaires » des télévisions locales. Il y en a douze actuellement en Fédération Wallonie-Bruxelles. Votre objectif est-il de réduire leur nombre et la dotation publique qui leur est attribuée ?
Je suis quelqu’un de dialogue et de concertation. Il y a effectivement 12 médias de proximité. Il y a aussi, à la RTBF, 80 personnes qui sont en charge de la proximité et de l’info régionale. Cela fait, au total, beaucoup de personnes qui gèrent l’info de proximité. Je pense qu’il y a moyen de mieux travailler en collaborant. La DPC, en tout cas, est assez claire : on veut rationaliser et apporter beaucoup plus d’efficacité. J’aimerais qu’on arrive à une télé locale par province (c’est-à-dire cinq, auxquelles il faut ajouter Bruxelles, NdlR). Ce sera sans doute compliqué car il y a des résistances locales, notamment dans le chef des mandataires politiques, mais on va y travailler. Dès que j’aurai terminé ma tournée des médias de proximité, on mettra sur pied un groupe de travail réunissant les 12 médias de proximité, la RTBF et aussi, sans doute, d’autres acteurs du monde de l’audiovisuel. Je pense qu’il ne faut pas se limiter aux opérateurs publics. D’autres personnes doivent être associées à ce travail. Ma volonté est de co-construire avec eux.
Cette rationalisation s’accompagnera d’une diminution des moyens budgétaires alloués aux médias de proximité ?
Dans le cadre du budget 2025, on a déjà réalisé une économie de 500 000 euros sur un budget annuel, pour les médias de proximité, de 11 millions d’euros (frais de fonctionnement, NdlR).