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« Les Fourmis » appose la patte animale sur le jeu vidéo

Au Panthéon des personnages de jeu vidéo, on retrouve Mario, Lara Croft, et maintenant… les fourmis. Le studio Tower Five a sorti le 7 novembre, avec l’éditeur Microids, un jeu de stratégie autour de cet animal, librement inspiré du livre Les Fourmis de Bernard Werber. A première vue, pourtant, pas facile de créer du challenge à partir de la vie d’un animal.

Les Fourmis propose d’incarner un insecte et de mener sa colonie à la prospérité. Dans les faits, cela se traduit par plusieurs missions de stratégie en temps réel. Malgré la relative confidentialité du studio, celui-ci a mis le paquet dans la production visuelle du jeu, avec un rendu très détaillé grâce au moteur Unreal Engine 5 qui donne de l’ampleur aux combats d’insectes. Le reste du jeu alterne entre des batailles tactiques et des missions plus orientées exploration, d’une qualité variable.

« Voir le monde à travers les yeux d’une fourmi »

Après un premier jeu réalisé par Microids en l’an 2000, l’éditeur a collaboré avec un studio français, Tower Five. Celui-ci a essayé de traduire un élément essentiel du roman de Bernard Werber et des amateurs d’insectes : la fascination pour ce monde à petite échelle. « C’est le cœur du roman et du jeu : voir le monde à travers les yeux d’une fourmi, à son échelle, avec ses préoccupations, sa propre culture, et sa perception de l’environnement, décrit Renaud Charpentier, directeur des Fourmis et cofondateur de Tower Five. Sous des apparences paisibles, cet univers est en réalité un empire constamment en guerre. Nous avons voulu retranscrire cette échelle et ces masses guerrières dans le jeu. »

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Au-delà des thématiques abordées dans la trilogie de science-fiction, les caractéristiques des fourmis se prêtent particulièrement bien à un genre de jeu comme la stratégie ou la gestion. « Ce sont probablement elles qui ont inventé l’agriculture, avec la culture de champignons, et l’élevage par la traite des pucerons. Elles ont aussi développé des guerriers spécialisés, des armes comme les jets d’acide, et soignent leurs blessées après les combats », complète Renaud Charpentier. « Ils n’ont pas pris au pif un insecte alors qu’il y en a plein », détecte Kévin Remeuf, game designer et éthologue. Avant de travailler dans le secteur du jeu vidéo, il a étudié les comportements animaux, et met depuis cette compétence spécifique au service d’un secteur qui le passionne. « Le modèle de la fourmi est à la fois super éloigné de l’humain anatomiquement et super proche socialement », analyse-t-il.

Réalisme ou anthropomorphisme

Dans les jeux vidéo, les animaux sont ainsi souvent relégués au rang d’ennemis ou de compagnons, « mais peu s’intéressent spécifiquement au comportement animal », estime Kévin Remeuf. Il a travaillé sur Blanc, un jeu d’aventure mettant en scène un loup et un faon. On peut aussi citer d’autres expériences, comme Stray, où l’on joue un chat, ou Ancestors : The Humankind Odyssey, qui retrace l’évolution de l’espèce humaine depuis les primates. « Selon moi, ces jeux conservent des ressorts ludiques classiques, reprend l’ancien chercheur en éthologie. Mais ils vont faire découvrir un propos sur les animaux aux joueurs et joueuses. Je pense à Shelter, où on joue une maman blaireau qui doit protéger ses petits. Ce jeu montre quelque chose d’assez impitoyable, mais en fait, c’est la vraie nature. Il n’y a pas d’anthropomorphisme. »

Il souligne une question de design importante : faut-il favoriser l’identification et le capital sympathie, ou le réalisme ? Dans Les Fourmis, l’équipe a plutôt penché du second côté. « Nous avons cherché à respecter les connaissances actuelles en entomologie, notamment le comportement des différentes espèces selon les saisons, explique Renaud Charpentier. Nous avons également choisi de ne pas humaniser nos héroïnes : elles ne parlent pas, mais utilisent stridulations et phéromones. »

« Certaines espèces sont beaucoup plus connues, et donc vont beaucoup plus parler aux joueurs ou à la joueuse, ce qui va permettre de créer du lien et de l’affect, complète Kevin Remeuf. Mais ça peut être aussi une volonté de l’équipe de dire : « Cette espèce toute pourrie, un peu moche, qu’on ne connaît pas, j’ai envie d’en parler, parce qu’elle a autant sa place que n’importe quel autre animal. » » Dans son propre projet de jeu, Dys, qui traite des troubles du même nom à travers des oiseaux, il a fait le choix de l’anthropomorphisme, pour bien faire comprendre que l’oiseau est une métaphore. « En y réfléchissant, je me suis dit : « Quelle plus belle métaphore de la vie que celle de la migration ? » C’est un voyage, de l’évolution, du danger, de la cohésion sociale », expose-t-il. En tout cas, la fourmi n’est pas seule dans le jeu vidéo, c’est là son moindre défaut.