France

« Des souffre-douleurs »… L’enfer vécu par les « pointeurs » au cœur d’un procès devant les assises d’Ille-et-Vilaine

A la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine à Rennes,

Loin des regards, la prison fonctionne comme une microsociété en vase clos. Avec ses règles bien sûr, mais aussi ses codes, sa hiérarchie entre détenus et son langage cru. Dans le jardon carcéral, tout détenu condamné pour infractions sexuelles, en particulier sur des mineurs, est désigné comme « pointeur », « pointu » ou « tutu ». Des qualificatifs synonymes de double peine pour les prisonniers désignés de la sorte. Car derrière les murs, chaque détenu est jugé par ses compères de cellule par rapport aux actes qu’il a commis. Avec tout en haut de l’échelle, les braqueurs ou les trafiquants et tout en bas les violeurs.

Ce mercredi devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine à Rennes, deux hommes sont ainsi jugés pour « torture ou acte de barbarie en réunion » sur leur codétenu, un « pointeur » justement. Les faits remontent à la nuit du 7 au 8 avril 2019 dans le huis clos de la cellule 235 au centre pénitentiaire de Vezin, près de Rennes. Trois semaines plus tôt, la victime, âgée d’une cinquantaine d’années, avait été incarcérée pour violation de son contrôle judiciaire. Multirécidiviste, il avait été condamné en 2012 à sept ans de prison pour détention d’images pédopornographiques et atteinte sexuelle sur mineur. Au printemps 2019, le voilà donc incarcéré dans la même cellule que François M., âgé de 39 ans, et Jorge D., 26 ans.

Une rumeur selon laquelle il aurait violé sa fille

Et « les violeurs sont très mal vus en détention, c’est le bas de l’échelle, des souffre-douleurs », assure une surveillante pénitentiaire. Souvent placés à l’isolement ou dans des quartiers spécifiques pour les protéger, les « pointeurs » rasent les murs et évitent les promenades pour se faire oublier. Mais en prison, tout se sait rapidement, surtout le CV et le casier des autres détenus. Quand le secret est démasqué, le quotidien des « pointeurs » devient alors un enfer, rythmé par les insultes, menaces, agressions et sévices de la part des autres détenus.

Quand Jorge D. a vent que son codétenu aurait violé sa propre fille, il le somme donc de s’expliquer sur les raisons de son incarcération. « C’est pour un autre motif », lui répond le quinquagénaire. Les menaces et les brimades commencent alors, Jorge D. promettant à son voisin de chambre de « le mettre en PLS » et de lui infliger « une raclée ». Se sentant menacé, le détenu alerte les surveillants et demande à changer de cellule. En vain.

Une balayette enfoncée dans l’anus

Au centre pénitentiaire de Vezin, les insultes et les humiliations redoublent, la victime étant forcée de dormir sur un matelas à même le sol et de faire la vaisselle de ses codétenus. Jusqu’à cette soirée du 7 au 8 avril où la violence est encore montée d’un cran, basculant dans l’horreur. Selon le récit du président de la cour d’assises, la victime a d’abord été frappée et tirée par les cheveux. Mis à genoux et maintenu de force par François M., le quinquagénaire a après été forcé de boire l’urine de Jorge D. qui venait de se soulager dans un récipient en plastique. La tête plaquée au sol et un genou dans le dos, il a ensuite senti son boxer descendre avant d’apercevoir une balayette et de ressentir une douleur et une brûlure atroces au niveau de l’anus.

Les examens réalisés le lendemain à l’hôpital révéleront des « lésions compatibles avec l’introduction d’un objet dans le rectum » avec quinze jours d’ITT pour la victime. Quatre traces d’ADN seront également retrouvées sur la balayette sans qu’elles ne puissent être exploitées par les enquêteurs. Entendus par l’administration pénitentiaire après cet « incident », les deux codétenus ont nié les faits. En garde à vue, Jorge D. n’a pas caché sa haine des « pointeurs », « des déchets » selon lui. Tout en se disant innocent, assurant que la victime s’était elle-même introduit la balayette dans l’anus.

Les autres détenus n’ont « rien entendu »

Une version que les deux prévenus ont maintenue à la barre ce mercredi. « Il ne s’est strictement rien passé, il s’est fait ça tout seul », témoigne François M. « Et pour quelles raisons selon vous ? », interroge le président de la cour d’assises. « Je n’ai aucune idée de pourquoi il a fait ça », répond Jorge D., qui a tout au long de l’enquête dénigré la victime, « un sale pointeur qui raconte n’importe quoi ».

Dans l’enceinte de la prison, l’audition des prisonniers détenus dans les cellules voisines n’a pas non plus permis d’y voir plus clair. « Personne n’a rien entendu et quatre détenus ont même refusé d’être extraits de leur cellule », témoigne l’officier de gendarmerie qui a mené l’enquête, évoquant sans la nommer l’omerta qui règne dans les prisons. « J’ai bien vu des sourires en coin chez certains, raconte-t-il. Même s’ils avaient entendu quelque chose, on n’aurait rien obtenu d’eux. »

Le procès des deux prévenus se poursuit jusqu’à vendredi devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine. François M., toujours incarcéré, encourt vingt ans de réclusion criminelle. Jorge D. comparaît pour sa part libre. Mais jugé en état de récidive, il encourt le double de la peine.