Procès des viols de Mazan : Gisèle Pelicot est « victime d’un viol de masse », plaident ses avocats
A la cour criminelle du Vaucluse,
Deux mois et demi d’audience et d’une plongée quotidienne dans « cette maison de l’horreur ». Dans celle-ci, les cinquante co-accusés de Dominique Pelicot « ont compris [en la quittant] que d’autres étaient passés avant et que d’autres suivront encore », a plaidé Antoine Camus, un des deux avocats de Gisèle Pelicot et le premier à s’élancer dans les plaidoiries qui concluent ce procès historique. « Pourtant, pas un seul n’a appelé la police », a-t-il souligné et regretté.
« Ce dont Gisèle Pelicot est victime n’est-il pas davantage un viol de masse ? », a interrogé l’avocat qui sait que « cette qualification pénale n’existe pas ». « C’est la banalité du mal d’Anna Arendt qui prend ici la forme d’un viol d’opportunité, de lâcheté, ce sont les mots de Gisèle Pelicot. »
Au-delà de cette lâcheté, avancée ce mardi dans sa dernière prise de parole par Gisèle Pelicot, son avocat est revenu sur le « geste politique d’avoir renoncé au huis clos ».
« Puisqu’il n’y avait rien à attendre à titre personnel de ce procès, il fallait bien ouvrir la salle au plus grand nombre, inviter la société à une réflexion de fond, faire de ce débat le terreau d’une prise de conscience. Comment, en France, en 2024, peut-on trouver dans un rayon de 50 km, cinquante individus prêts à profiter sexuellement d’un corps inerte ? » »
« Tu mourras seul comme un chien »
L’avocat s’est ensuite lancé sur la « souffrance incommensurable » de Caroline Darian, la fille de Gisèle et Dominique Pelicot qui, malgré la présence de deux photos à caractère sexuelle de celle-ci retrouvées dans un de ses caméscopes, s’obstine à nier les avoir prises et encore plus l’avoir « touché ». « Faire preuve de justice et de vérité pour les parties civiles, c’est de ne pas laisser dire que Dominique Pelicot a tout reconnu et qu’il aurait prêté de bonne grâce son concours à la justice. L’enquête montre qu’il ne reconnaît jamais rien spontanément, il ne reconnaît que lorsque la preuve irréfutable lui est agitée sous le nez », a plaidé l’avocat.
« Et le fait est que pour une fois dans une affaire de viols, nous disposons du son et l’image. Ces images qui hantent encore cette salle d’audience, et pour longtemps encore », a appuyé Antoine Camus. Mais pour sa fille, point d’aveu, malgré une ultime tentative de Béatrice Zavarro, avocate de Dominique Pelicot, juste avant les plaidoiries. « Tu mourras seul comme un chien », lui a alors crié sa fille, avant de fondre en larme, face à cette question qui demeure sans réponse. « La perversion de Dominique Pelicot a réussi jusqu’à séparer les larmes de sa famille », a constaté Antoine Camus.
« L’altération du discernement » plaidée par 33 accusés
Et l’avocat de s’attaquer ensuite « à la maltraitance de prétoire » que subissent les victimes de viols. Gisèle Pelicot a dû mettre sa sexualité à nu, montrer en un sens « qu’elle était normale. Et même si elle était libérée, ou débridée, et alors ? », a interrogé l’avocat, poursuivant : « Si la défense est libre, elle dit beaucoup de ce que nous sommes. » Avant sa plaidoirie ce sont 33 des 50 co-accusés qui sont venus demander par la voix de leur avocat que soit retenue pour leur verdict « l’altération de leur discernement », qui limite les peines à deux ans de prison, accusant Dominique Pelicot de les avoir également drogués une fois arrivés chez lui.
« Mais tous ont d’une certaine manière choisi de se rendre sur place, avec pour certains des échanges préalables particulièrement explicites. Et même ceux dont on n’a pas retrouvé ces conversations ont fait le choix de se séparer de la penser, de leur libre arbitre », a tranché Antoine Camus. D’avoir tous fait le choix de faire primer leur vision du monde et du consentement : « Puisque c’est le mari qui ouvre la porte, c’est donc que sa femme est consentante ? Ceux-là ont choisi de parier, sans jamais avoir discuté avec elle, de se dire que Gisèle Pelicot était consentante. »
Tous nos articles sur le procès des viols de Mazan
Enfin, l’avocat a conclu sur la noblesse de Gisèle Pelicot qui « aurait toutes les raisons du monde d’être dans la haine, d’opposer les hommes et les femmes, de fustiger la sexualité masculine. Mais à rebours de son ex-époux, elle a choisi de faire porter sa voix par deux hommes [Antoine Camus donc, et Stéphane Babonneau]. Ça ne relève pas d’un hasard. Elle a choisi malgré ce qu’elle a subi de transformer cette boue en matière noble, de dépasser la noirceur de son histoire pour y trouver un sens. » Celui de faire de son procès une tribune, une tribune contre cette « société machiste et patriarcale qui banalise le viol » et qu’avait dénoncée Gisèle Pelicot dans sa dernière prise de parole.