Académie française : Définitions fausses, « fellation » mais pas « cunnilingus »… Un nouveau dictionnaire « scandaleux »
Mercredi dernier, l’Académie française a dévoilé la neuvième édition de son dictionnaire, après trente-huit ans de travail. Remis le lendemain à Emmanuel Macron, il a été qualifié par le Président de la République d’ouvrage de « référence » et ses auteurs, de « gardiens de notre langue ». Rien que ça.
Pourtant, dès la publication officielle du dico, de nombreuses voix se sont élevées pour en critiquer son contenu. Dans une tribune publiée dans Libération, le collectif des Linguistes atterrées a relevé qu’il manquait des mots devenus courants tels que « coronavirus », « daron » ou « féminicide ». Mais le dictionnaire comporte également des définitions obsolètes, comme celle du « mail » qui n’est qu’un « gros marteau ». « C’est grotesque pour un dictionnaire qui paraît en 2024 et qui a été commencé en 1986 », commente Médéric Gasquet-Cyrus, linguiste à l’université d’Aix-Marseille et membre du collectif.
Plus grave, il y a parmi ces 59.000 termes, des définitions « plus que contestables », comme celle « d’hétérosexuel », qui est, selon l’Académie française, « relatif à la sexualité naturelle entre personnes de sexe différent ».
Un discours politique, pas une définition
« Implicitement, cette définition d »’hétérosexuel » dit que l’homosexualité n’est pas naturelle, analyse le spécialiste, coauteur du livre Va voir dans le dico si j’y suis. C’est plus que problématique : c’est scandaleux. Et factuellement et scientifiquement faux. Ça fait longtemps qu’on a prouvé que, dans les espèces animales ou humaines, l’homosexualité était naturelle et a toujours existé. » Il complète : « je conçois qu’il est dur de faire un dictionnaire mais il faut être sérieux. Ici, le discours n’est même pas seulement conservateur, il outrageant au niveau de ce qu’il véhicule comme valeurs. C’est très choquant. Et c’est validé par le président de la République. »
Aurore Vincenti, linguiste du corps et de la sexualité, va plus loin. Pour elle, dire que l’hétérosexualité est « naturelle » est un discours politique. « L’argument de »la nature » est un argument d’autorité, explique-t-elle. C’est une façon de clore le débat et d’exclure celles et ceux qui ne feraient pas partie de cette norme. Et dans le contexte de la sexualité, il est tout le temps utilisé, de manière erronée et abusive – comme un outil politique, pour ancrer des conceptions qui vont renforcer un ordre des choses. Dire que l’hétérosexualité est la sexualité naturelle, ça permet de maintenir un discours de supériorité masculine et de complémentarité des sexes. »
La linguiste rappelle par ailleurs que l’homosexualité a été considérée comme un crime en France et l’est encore dans certains pays du monde. « Elle est encore perçue comme une perversion, une déviance par une partie réactionnaire de la population et c’est sur cette sensibilité politique que joue l’Académie. On n’est pas loin des arguments de la Famille pour tous : « un papa, une maman »… », pointe-t-elle.
La « femme » réduite à une fonction reproductrice dans le dictionnaire de l’Académie française
Le problème n’est donc pas le fait que l’Académie souhaite faire un dictionnaire, mais plutôt le « discours dont se pare l’institution ». « Elle ne peut pas être qualifiée de référence alors que son dictionnaire ne décrit pas la langue parlée ou écrite par la population française, assure Médéric Gasquet-Cyrus. Comment explique-t-elle que parmi les 59.000 mots, »daron », vieux mot d’argot qui refait surface, n’apparaisse pas. Ou »bisou ». Au nom de quoi ? Pourquoi il y a »wokiste » mais pas »Web », »fellation » mais pas »cunnilingus » ? ! Expliquez-nous ! Il n’y a aucune cohérence. »
Autre constat ahurissant, le premier sens de la définition de « femme ». Dans cette 9e édition, la première signification du mot est : « être humain défini par ses caractères sexuels, qui lui permettent de concevoir et de mettre au monde des enfants. » « C’est grave, la femme est, encore, en 2024, réduite à une fonction reproductrice », insiste le linguiste. Pour lui, l’Académie française ne fait que « freiner les mouvements d’évolutions de la langue ». Même constat pour Aurore Vincenti qui pense même qu’en ce qui concerne la langue française, « l’Académie est très rétive à son évolution ». Elle ajoute : « c’est un entre-soi de personnes issues du même milieu, ayant peu ou prou les mêmes valeurs et veillant à maintenir un ordre. »
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Médéric Gasquet-Cyrus estime d’ailleurs que ces Académiciens n’ont « aucune idée de la langue française, de ses usages et n’ont fait aucune observation de la société pour concevoir ce dictionnaire ». Il préconise de se référer à d’autres éditions comme Larousse, Hachette ou Le Robert qui révisent leurs dictionnaires tous les ans. « En réalité, personne ne regarde vraiment le dictionnaire de l’Académie. Il n’a qu’une fonction symbolique. Et heureusement ! », conclut le linguiste.
Contactée, l’Académie française n’avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la parution de cet article.