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Vendée Globe : Que valent les zones de protection de la biodiversité, pour éviter collisions entre bateaux et baleines ?

Une opération de communication pour « vendre » des mesures phares, c’est bien. C’est mieux quand elle est bien cadrée. En février dernier, dans le cadre majestueux de l’Unesco, Alain Lebœuf, président du Vendée Globe et président du conseil départemental de la Vendée, annonçait, assez fier, tout un tas d’engagements environnementaux pour la dixième édition de la course au large. Parmi elles, protéger faune marine sur le parcours de la course en créant des zones de protection de la biodiversité (ZPB), où les Imoca auraient interdiction de passer, afin de minimiser les risques de collisions entre bateaux et cétacés.

Cette annonce précoce avait surpris jusqu’à la direction de la course, qui ne voyait pas comment cela pouvait se mettre en place. « C’est quand même assez problématique de définir ces zones-là, nous expliquait alors Hubert Lemonnier, le directeur de la course. Et puis, de toute façon, on est chez eux, chez les mammifères marins, on ne pourra pas empêcher qu’il y en ait. Si le jour J, tu passes à côté de la zone interdite, tu tapes un cétacé, qu’est-ce qui va se passer ? Ça voudra dire que, moi, j’ai mal mis ma zone, ou ça voudra dire qu’il y a des cétacés qui sont en dehors de cette zone, et comment arriver à définir cette zone ? »

Les recommandations des scientifiques

Chez les skippeurs, même si on était unanimes sur le fait qu’il fallait créer ces ZPB, de nombreuses interrogations demeuraient : « Je ne veux pas qu’on rentre dans un truc qui sera une manière de se donner bonne conscience, mais qui ne sera scientifiquement pas étayé, indiquait Eric Bellion (Stand as one). Moi, j’ai besoin que les scientifiques nous parlent et nous disent qu’il faut vraiment éviter telle zone. Si c’est le cas, il n’y a pas de discussion, il faudra l’éviter. »

Eric Bellion et toute la flotte ont donc eu droit à une petite réunion avec les Experts Sables-d’Olonne le 20 septembre, venus expliquer sur quels critères ces ZPB avaient été définies : observation des cétacés par les bateaux et via des données satellitaires, couplé à une recherche de logique liée à la salinité de l’eau, les croisements de courant, pour comprendre pourquoi les cétacés se retrouvent à tel endroit, soit pour les phases d’accouplement, soit pour la nourriture.

« 0,0001 % de la surface des océans »

Tout ce brainstorming a permis de délimiter… deux zones de protections de la biodiversité. Oui, seulement deux, selon un document publié par la course le 19 octobre. Une au large du Portugal et une autre au niveau des archipels de Madère, des Canaries, du Cap Vert et une partie des côtes africaines. « Elles couvrent vraiment une surface extrêmement faible, cela représente 0,0001 % de la surface des océans », regrette Amaury Guérin, navigateur, membre du collectif La Vague, qui agit pour faire évoluer la voile de compétition sur les enjeux environnementaux. Avant d’ajouter :

« On s’attendait quand même à ce qu’il y ait au minimum les mêmes ZPB que celles qui avaient été mises en place lors de l’Arkea Ultimate Challenge, avec des zones interdites notamment dans le grand sud autour des îles Kerguelen, au niveau de l’Afrique du Sud. L’outil des zones de protection est intéressant, parce que ça institue l’idée d’un partage de l’océan entre voiliers et biodiversité marine. Mais au vu de leur ampleur, ça aura un impact vraiment mineur sur la réduction des collisions avec les cétacés. C’est plus de la communication que vraiment de la protection. »

En rose, les deux zones de protection de la biodiversité.
En rose, les deux zones de protection de la biodiversité. - La Vague

D’autant que, en cette fin d’année, la mégafaune marine, comme les baleines, va migrer, par exemple entre l’Antarctique et l’Afrique du Sud, avec un risque que la course coupe ces couloirs de migration. « C’est là que les gens qui veulent observer les baleines vont souvent faire des voyages touristiques », indique Louis Burton. Le skipper de Bureau Vallée nous assure que cette zone, qui englobe le Cap de Bonne-Espérance, a été interdite pour cette édition. Mais aucune trace dans les documents officiels.

Jusqu’à la disqualification

Alors, si les malheureux skippers osent s’aventurer dans ces ZPB pour gagner un peu de temps sur le reste de la flotte, que risquent-ils ? « Si tu rentres dans une zone interdite volontairement et que tu dis « moi je m’en fous », t’es disqualifié, avance Louis Burton. Mais si tu rentres pour une raison de sécurité ou malencontreusement parce que tu t’es endormi et que tu n’as rien entendu sur tes réveils, comme moi en 2021 dans la zone des glaces, tu dois ressortir de la zone par le point par lequel tu es rentré en limitant ta vitesse. »

Mais, imaginons le scénario où une énorme tempête oblige nos marins à traverser la zone de protection de la biodiversité pour éviter de risquer leur vie, quelle porte de sortie s’offrira à eux ? « Dans tous les cas, il y a une discussion à avoir avec la direction de course, en lien avec ce qui se passe sur l’eau, estime Alan Roura (Hublot). Et c’est la direction de course qui nous dira si on passe dedans ou non ».

Car la vitesse des Imoca, surtout depuis l’apparition des foils, est l’une des raisons pour laquelle il y a de plus en plus de collisions entre cétacés et embarcations. Alors, certains, comme Charlie Dalin (Macif), quand ils le peuvent, essaient de remonter leurs foils lorsqu’ils sont dans des zones à forte affluence, comme lors de la dernière transatlantique New York-Les Sables-d’Olonne. Mais, malgré toutes les précautions prises, certaines collisions restent inévitables. Et préfèrent être cachées.
« Lors de mon dernier Vendée Globe, j’ai préféré dire que j’avais heurté un ofni pour ne pas que ça porte préjudice à l’équipe et à la course », témoigne un navigateur expérimenté.

Alors, course au large et protection de la faune marine sont-ils incompatibles ? « Le problème, ce n’est pas le Vendée Globe, assure Amaury Guérin. Le Vendée Globe pourrait même avoir des ZPB plus grandes, ça ne changerait pas la course. Ce qui compte pour les skippeurs, c’est de courir avec les mêmes règles. Et quand la course se joue sur celui qui a la malchance de taper un cétacé, on enlève sa beauté au sport. Pour les skippers, je pense que c’est presque mieux pour eux d’avoir des grandes zones de protection. »