France

« Quand tu fais perdre de l’argent à Universal, c’est plutôt rigolo », s’amuse Didier Wampas

«C’est dingue de trouver un bistro comme ça ici ! » C’est ainsi que Didier Wampas nous accueille quand on le rejoint au La Havane, un bar sans prétention ni chichi, dans la cossue ville de Neuilly. Un lieu qui ne se la raconte pas, comme le rockeur, chanteur des Wampas, 62 ans, qui retrace sa vie, et surtout ses chansons, dans le livre Punk ouvrier sorti jeudi chez Harper Collins. Entretien à la cool.

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce livre maintenant ?

C’est la maison d’édition qui me l’a proposé. Je n’avais pas très envie de faire ça. Je leur ai dit que si c’était axé sur les chansons, ce serait OK. Raconter ma vie, ce n’est pas très intéressant. Ce sont les chansons qui sont importantes.

Pourtant vous avez un parcours singulier…

Oui, ça peut montrer aux gens qu’on peut vivre, faire de la musique, en étant un peu décalé, sans entrer entièrement dans le système. Si on peut aider quelques personnes comme ça…

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la décennie des années 1980, durant laquelle le groupe Les Wampas est né ?

Il y avait de l’innocence. Avant que ça se mette à marcher, avant que la Mano Negra explose, on faisait de la musique naïvement, sans savoir que l’intermittence existait. On faisait des 45 tours à 1.000 exemplaires, sans maison de disques, on jouait dans des bars, on était heureux. On ne demandait rien de plus.

Faire du punk implique-t-il de ne pas rechercher le succès grand public ou alors y avez vous songé ?

On n’y pensait même pas. C’était inenvisageable à l’époque. On ne savait pas que c’était possible, ce n’est pas une question de choix. C’était comme ça. On jouait dans des bars, dans des squats, il n’y avait rien d’autre, ça n’intéressait personne. C’était peut-être mieux, d’ailleurs. Mais c’est comme ça à chaque fois que naît un mouvement artistique fort, que ce soit à Londres en 1976 ou à New York dans les années 1970. C’était un petit nombre de personnes qui se réunissaient dans de tout petits endroits… C’est là que c’est bien. Une fois que c’est récupéré par les maisons de disques, c’est moins intéressant.

La scène rock de cette époque en France avec Les Wampas, La souris déglinguée, les Bérurier noir, etc. est dans l’inconscient collectif. Est-ce qu’on n’a pas tendance désormais à y projeter beaucoup de fantasmes ?

Il y a plein de fantasmes. De temps en temps, je relis des livres sur cette époque et c’est un peu romancé. Tout le monde fait un peu son malin. Ce que j’ai essayé de ne pas faire dans mon livre. Mais j’en rajoute toujours un peu pour embellir. En vrai, c’étaient des petits cons qui buvaient de la bière et jouaient du rock dans des bars. Dans l’imaginaire collectif, ça devient autre chose, mais à la base, c’était ça.

C’étaient des années assez violentes dans ce milieu, avec des bastons, le risque de se faire racketter ses places de concert avant d’arriver à la salle…

Tu te faisais piquer tes Docs, tu rentrais en chaussettes chez toi après les concerts…

Vous l’avez vécu ?

Moi, je n’ai jamais été trop victime de ça, mais oui, les concerts étaient assez violents. C’était pas très rigolo. Ceux de La souris déglinguée en banlieue, tu savais ni quand ni comment tu allais rentrer chez toi après. il y avait tout le temps des bagarres. Ça s’est arrêté au début des années 1990. Mais dans les années 1980, il y avait des bandes, si tu avais des Dr. Martens avec des lacets de la mauvaise couleur, ça n’allait pas… Mais je ne suis pas nostalgique de cette époque, je suis vachement content d’être là aujourd’hui.

Y a-t-il un malentendu à votre sujet qui vous agace ?

Quand on dit que je fais du rock rigolo, ça m’énerve. Je n’appartiens pas à la catégorie du comique. Je fais du rock un peu absurde, surréaliste.

Vote premier émoi musical, c’est « Qui saura » de Mike Brant…

Je n’y peux rien, je n’avais pas de grand frère qui écoutait du rock. Alors oui, à 10 ans, un jour, en entendant cette chanson, j’ai ressenti une émotion. T’écoute de la musique, ça ne te fait rien, et puis un jour, il y en a une qui arrive à la radio, et tu es là : « aaaah ».

Vous avez dû cacher votre goût pour la variété ?

Non, je ne m’en suis jamais caché. J’ai toujours dit que j’aimais Claude François, Johnny Hallyday, Il était une fois… Pour moi, la musique, ça a commencé comme ça, avec le hit-parade sur Europe 1. J’achetais Podium, je découpais les paroles de chansons que je collais dans des cahiers. J’étais vraiment fan de variété.

Ensuite vous vous êtes mis à lire « Best » et « Rock & Folk »…

Ça, c’est bien après…

Vous racontez dans le livre que cela a été votre formation, mais que vous avez fini par arrêter de lire ces magazines pour être vraiment musicien…

Oui, au bout d’un moment, tu te dis que c’est bon, que tu as compris. C’est ce que raconte Jean-Jacques Goldman. Il dit qu’il a eu du succès le jour où il a arrêté de lire Rock & Folk. C’est un peu pareil pour moi. Un jour, il faut arrêter, tu as compris, le rock’n’roll, tu sais ce que c’est, maintenant tu en fais. Tu prends ta guitare et tu arrêtes de te comparer à tout ce qui a existé.

Votre livre s’intitule « Punk ouvrier », c’est votre identité ?

Oui, ce n’est pas voulu. Au départ, j’ai travaillé parce qu’il le fallait bien. On montait des groupes, on ne gagnait rien du tout…

Vous cumuliez journées de travail et concerts. Vous aviez la niaque ou c’est de l’inconscience ?

Un peu des deux. Aujourd’hui, je me demande comment je faisais. A la RATP, ils ne m’aidaient pas. Ce n’est pas comme pour les sportifs, on ne me donnait pas du temps pour aller répéter. Je faisais les trois huit comme tout le monde, j’allais répéter, je faisais des concerts, je retournais bosser. Je n’arrêtais pas. Au début, mes collègues savaient vaguement que j’avais un groupe mais ils ne venaient pas me voir en concert. Après, quand tu passes à la télé, tout le monde sait que tu existes.

C’est Louise Attaque qui vous a convaincu de signer au sein de leur label, Atmosphériques, au début des années 2000. On n’imagine pas forcément Les Wampas copains avec ce groupe…

Ben ouais mais nous, ils nous aimaient bien et moi je les aimais bien aussi. La première fois que je les ai vus en concert, je me suis dit qu’il y avait quelque chose en plus par rapport à d’autres groupes – il y en avait plein à l’époque un peu accordéon/chanson françaises [Les Têtes raides, La Rue Kétanou…]. Eux avaient quelque chose de plus fort, de plus spécial. Ils ne faisaient pas une copie de quoi que ce soit. On est devenus amis très vite. Ils ont insisté auprès de la maison de disques [Atmosphériques] pour nous signer. C’était un petit label, ils ont juste eu la chance de sortir Louise Attaque et de vendre trois millions de disques. Avant on est passé par de plus gros, on a été chez RCA par exemple. Mais de toute façon, je m’en fous de ça. Je préfère faire perdre de l’argent à un gros label qu’à un petit. Quand tu fais perdre de l’argent à Universal, c’est plutôt rigolo [Les Wampas sont la preuve que Dieu existe est paru en 2009 chez Barclay, qui appartient à la major Universal].

En 2003, vous avez donc sorti le single « Manu Chao », qui est devenu un tube…

Un petit tube, oui.

C’était inattendu ?

Ah ben oui, oui, ça oui. Ce qui fait bizarre, c’est quand tu vas faire tes courses au supermarché et que tu entends la chanson. Là, je peux dire que ça m’a fait quelque chose. Vu la musique qu’on fait, je ne pensais pas que ça pourrait arriver. D’autant plus que ce n’est pas recherché, ni rien, il n’y a pas un instant où on essaye de faire de la musique commerciale. C’est un accident.

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Sur l’album qui a suivi, « Rock’n’roll Part 9 », il y a la chanson « Chirac en prison ». C’était une envie inconsciente de vous saboter pour vous rendre indiffusables en radio ?

C’était une volonté délibérée. Après Manu Chao, je me suis dit : « On va avoir accès aux médias, qu’est-ce que je fais ? Je continue à faire mes chansons pour vendre des disques ou je fais quelque chose ? » Autant faire quelque chose. Même si c’est une seule fois, j’aurais fait un truc, en l’occurrence, profiter de l’accès aux médias pour chanter Chirac en prison et foutre un peu le bordel.

Vous n’avez jamais songé à poursuivre dans le sillon plus commercial ?

Oh ben non, ça ne marche pas quand tu penses comme ça. Il y a plein de groupes qui pensent comme ça, mais ça ne fonctionne pas de toute façon. Sur notre album, il y avait la chanson Rimini. Les radios nous ont dit que s’il n’y avait pas eu Chirac en prison sur le même disque, elles l’auraient joué. Du coup, elles ne l’ont pas passé. Mais je préfère ça, ne pas entrer dans le jeu d’un système auquel je n’adhère pas forcément.

Durant cette décennie, vous vous êtes fâché avec pas mal de monde, dont Nicola Sirkis…

Je ne lui parle plus trop mais on n’était pas fâchés.

Vous avez chanté « Partenaire particulier », une chanson qu’il déteste, en première partie d’Indochine, en disant au public que c’était sa chanson préférée…

Oui, il l’a mal pris. On s’est revus après. Maintenant, on ne se parle plus trop, mais bon… On n’a pas les mêmes visions de la musique. Lui, c’est un control freak. Il veut devenir énorme. Mais tant mieux qu’il y ait un groupe français qui remplisse des stades avec des places pas chères. Ça prouve qu’on peut le faire, qu’on peut vendre des places à 50 euros. Et ça prouve que ceux qui les vendent à 150 gagnent cent euros de plus par place. Ça, c’est un truc que je ne capte pas, les gens qui sont déjà milliardaires et mettent en vente des places super chères.

Vous avez aussi eu maille à partir avec Kyo et notamment le chanteur Benoît Poher…

On était nommés aux Victoires de la musique, je n’ai pas aimé l’ambiance, j’ai pété les plombs et j’ai dit « Les Wampas détestent Kyo et la variété pourrie » mais je ne savais même pas ce qu’ils faisaient. Ca a fait boule de neige et ça a pris des proportions démesurées.

En 2007, vous avez participé à la sélection française pour l’Eurovision. Cela vous aurait amusé d’être désigné pour y participer ?

Ouais, surtout que la chanson que j’avais écrite s’appelait Faut voter pour nous et l’Eurovision tombait la semaine après l’élection de Sarkozy, donc j’aurais pu chanter « Fallait pas voter pour lui » devant l’Europe entière. ça aurait été drôle. « Fallait pas voter pour lui, maintenant on est bien dans la merde »… Je regrette pour ça. Sinon, non. Ce sont les Fatals Picards qui y sont allés, ils sont arrivés avant derniers, je crois. Ils ont joué le jeu.

Vous vivez désormais à Sète. Elle ressemble à quoi votre vie ?

C’est le bonheur. Le sud comme dans Pagnol, ça existe encore là-bas. Le centre-ville, c’est un gros village, tout le monde se connaît.

Et il y a beaucoup de rock qui résonne ?

J’écoute beaucoup de musique classique mais aussi du rock. J’essaie de découvrir des choses qui me plaisent.

Vous faites aussi de la musique en famille…

Oui, je fais un groupe avec ma femme et mes fils Sugar & Tiger. Il y a un album qui sortira en février, je pense. Jouer avec ses enfants, partager ça avec eux, c’est génial. Quand les mômes ont 25 ans, ils ne partent plus en vacances avec leurs parents normalement. Là, on part en concert et c’est super. On joue dans de petits endroits, j’adore. Plus ça va, plus j’aime ça. Les gros festivals, ça me fait chier.

Si vous ne deviez garder qu’un seul souvenir de votre carrière, lequel serait-il ?

Le jour où j’ai eu mon premier 45 tours. Avant j’étais rien, j’étais en banlieue tout seul, j’avais pas de copains, j’écoutais des disques dans ma chambre. Après, j’ai rencontré un pote au lycée. On était deux, déjà, c’était le bonheur. Puis on a rencontré deux autres mecs, on s’est dit qu’on allait faire un groupe ensemble et deux ans après on sortait notre 45 tours. Le magazine Best disait qu’il était bien. C’était le bonheur. J’étais dans mon train de banlieue pour rentrer chez moi, le disque en mains. Et je me suis dit « Ma vie est réussie ». C’était le grand moment de ma vie. J’étais tellement heureux. Ce jour-là, j’aurais pu arrêter.