Comment la chaussure Hoka a mis la jungle du running à ses pieds ?
De notre envoyé spécial dans les contes de fées,
Amateur de David contre Goliath et du Petit Poucet, voici un nouveau conte pour vous bercer. Il était une fois Hoka, chaussure d’origine française et âgée de seulement 15 ans, puisqu’elle n’a été fondée qu’en 2009. Qu’importe son origine modeste ou le faible nombre d’années, la marque a réussi à conquérir une bonne partie du royaume enchanté de la course à pied face aux géants Nike et Adidas. Selon Reuters, la part de marché de Hoka chez Dick’s Sporting Goods, l’un des principaux détaillants d’articles de sport aux Etats-Unis, était de 13 % en mai 2024. Plus qu’Adidas (7 %), et deuxième derrière Nike (32 %). Ils vécurent heureux et vendirent beaucoup de chaussures…
Si Hoka n’était qu’un nain à sa naissance, la marque a donc vite développé un appétit d’ogre. Son chiffre d’affaires en 2023 a atteint 1,8 milliard de dollars, en hausse de 50 % sur un an. Une croissance façon haricot magique qui semble inarrêtable puisque le groupe américain Deckers Outdoors, qui possède désormais la marque, a fait état d’un bond des ventes de Hoka de 35 % au seul troisième trimestre 2024.
Le confort au lieu de la tyrannie du minimalisme
Un exploit assez unique dans l’univers sportif. « Je ne connais aucune autre marque qui a eu une telle croissance exponentielle », souligne Olivier Bessy, sociologue du sport a l’université de Pau et auteur de Courir de 1968 a nos jours (Edition Cairn, 2022) et Le Grand Raid de la Réunion : une folle diagonale (Orphie, 2023).
Cette réussite ne s’est pas faite à coups de baguette magique mais grâce à un concept assez révolutionnaire pour l’époque : la taille de sa semelle. Guillaume Vallet, économiste du sport, retrace : « La mode était plutôt à l’inverse : la chaussure minimaliste, avec le moins de matière et d’épaisseur possible. » La concurrence fait donc des souliers en verre pour Cendrillon. Ou dit autrement, des chaussures prévues pour épouser au maximum la forme du corps. Elle va même parfois jusqu’à séparer les orteils façon gants pour petits petons. Le but ? Avoir la foulée la plus « naturelle » possible. Et parfois la plus douloureuse.
Mais voilà que dans ce monde de plus en plus étroit, Hoka débarque avec l’exact opposé : une semelle XXL, basée sur le confort et la stabilité. Et tant pis (voire tant mieux) si vos doigts de pied sont collés.
Pourquoi un tel choix ? La marque a été fondée à Annecy par deux créateurs ayant une passion assez confidentielle à l’époque : le trail. Or dans cette discipline qui vous fait gambader sur des sentiers bien plus abrupts et sauvages que la course sur bitume, des semelles larges – pour mieux encaisser les chocs – et des chaussures confortables, ça fait quand même sacrément la différence. De vraies bottes des sept lieues.
Un public nouveau et donc plus accessible
Deuxième explication au succès fulgurant de Hoka, « l’explosion de la pratique de la course à pied », poursuit Guillaume Vallet. Rien qu’en France, le nombre de « runners » est passé de 7,4 millions en 2017 à 12,4 millions en 2023, selon la dernière édition de l’Observatoire du running réalisée par Union Sport & Cycle. Dans le monde, 610 millions de personnes courent.
Et ce public de néocoureurs est une bénédiction pour Hoka. Premièrement car qui dit néopratiquants dit prime au confort, le choix historique de la marque. Quitte à cracher ses poumons, avoir des courbatures à des endroits inconnus et ne plus marcher pendant trois jours quand on commence la course (on l’a vécu), autant éviter en plus les ampoules. Deuxio, « il est plus simple pour une marque de s’imposer dans un marché croissant et qui n’est pas encore arrivé à maturité, poursuit Guillaume Vallet. Il y a forcément une place plus simple à prendre que dans un secteur bouché. »
La banalisation de la course sur route
Enfin, qui dit nouveau public dit clients plus sensibles au storytelling. Et là encore, Hoka a une très belle berceuse à raconter dont on a déjà parlé : celle du trail. La pratique a connu un énorme essor ces dernières années, portée par sa cousine la course sur route. En France, en 2023, il y a même eu plus de trails (4.268) que de courses « classiques » (3.932).
Cette dernière paie un peu sa démocratisation XXL, au point d’en devenir parfois banale. « Aujourd’hui, le marathon a perdu de son mythe, estime Lucas, coureur de 25 ans… qui porte des Hoka évidemment. Tous les coureurs l’ont fait désormais – ou ont prévu de le faire –, c’est même une blague commune : « Une fois trentenaire, tu fais soit des enfants soit un marathon. » Le trail, c’est l’inconnu. Il y en a toujours des nouveaux, des plus longs, et des courses tellement différentes les unes des autres qu’on garde l’impression de faire quelque chose digne d’être raconté aux copains. Et pas un truc que tout le monde a fait. »
La chaussure de l’extrême ?
Hoka a bien compris le filon et l’exploite au maximum. « Dans le monde de la course, Hoka, c’est la chaussure du trail et de l’extrême. Celle où vous vous dépassez, pas tant sur vos chronos que dans les parcours choisis et vos aventures », développe Guillaume Vallet. Olivier Bessy rappelle que la marque est partenaire officiel de plusieurs des plus grosses courses, dont l’UTMB (l’Ultra-trail du Mont Blanc). La chaussure « assied chaque année un peu plus sa domination sur le monde du trail. Elle a de nombreux coureurs partenaires, sponsorise de plus en plus de compétitions… »
Mais ce succès du trail n’est pas sans encombre : ses origines modestes sont loin, son bilan écologique est de plus en plus remis en question, sa professionnalisation est parfois critiquée et la surabondance de coureurs guettent – et gâchent – certaines courses, rappelle Olivier Bessy. Réveillez-vous, la vraie vie n’est pas un conte de fées (même dans le confort d’une paire de Hoka).