Ce cas exemplaire d’un Parlement qui a égaré ses élues
Après une victoire historique lors des élections municipales en ville de Berne, un grand nombre d’élues ont tourné le dos à la politique en cours de législature. Une bonne illustration des obstacles qui abondent sur la voie de l’engagement institutionnel.
«J’ai adoré faire de la politique au niveau local. Mais à un moment, j’ai dû jeter l’éponge devant l’impossibilité de concilier activité professionnelle, vie privée et engagement politique, explique Vivianne Esseiva. Je suis une maman séparée avec une fille de quatre ans et je travaille à 80% pour une banque de la place.»
En décembre 2023, cette élue de 42 ans a démissionné après plus de six ans de politique en ville de Berne. Pas une parlementaire novice donc, qui aurait été dans l’ignorance des implications d’un mandat politique. «Faire de la politique dans le système de milice helvétique implique immanquablement des sacrifices», reconnaît-elle.
Pour la députée du Parti libéral-radical (PLR, droite), le moment était arrivé où le jeu n’en valait plus la chandelle. Comme elle, vingt-six femmes ont quitté le législatif de la ville. Une législature entamée avec une représentation de 69% de femmes, reflet d’une élection historique, et qui s’est achevée quatre ans plus tard avec 57,5%. Ce qui demeure malgré tout un des taux les plus élevés de la Planète.
«Femmes en politique: 2023Lien externe», une carte publiée par ONU femmes et l’Union interparlementaire (UIP), démontre que les femmes sont sous-représentées à tous les niveaux de décision. Et que l’égalité des sexes en politique est loin d’être atteinte. Au 1er janvier 2023 dans le monde, les femmes occupaient en moyenne 26,5% seulement des sièges dans les législatifs. Depuis deux ans, le Rwanda mène le bal avec une représentation féminine de 61,3%. Contre 35,1% en Allemagne, 32,3% en Italie et 38,5% en Suisse (Conseil national), après les élections fédérales d’octobre.
Dans le cadre des élections fédérales de l’automne 2023, septante-sept femmes ont été élues au Conseil national. Sept de moins qu’en 2019. La proportion de femmes est passée à 38,5%, soit le deuxième meilleur résultat depuis l’introduction du suffrage féminin en 1971. Pour ce qui est du Conseil des États, une forte poussée a été enregistrée puisque quatre femmes de plus qu’en 2019 ont été élues (seize au total), portant la représentation féminine à 34,8%, record historique.
Comme en 2019, la majeure partie des conseillères nationales siègent dans les rangs socialistes et verts. Avec 70%, le Parti vert libéral a enregistré le taux le plus élevé de femmes élues. L’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice) est passée sous le seuil des 20%.
Depuis 2019, le Conseil fédéral se compose de quatre hommes et trois femmes. Après le départ de la première conseillère fédérale Elisabeth Kopp (PLR), le gouvernement a connu une interruption de quatre ans, mais à partir de 1994, une femme au moins siège au sein de l’exécutif fédéral. Entre 2010 et 2011, le gouvernement a connu une majorité féminine avec quatre conseillères fédérales.
Source: Les femmes lors des élections fédérales de 2023, Commission fédérale pour les questions féminines (CFQF – 2023)
Certaines catégories exclues
Concilier travail, politique et vie privée est un difficile exercice d’équilibrisme qui concerne aussi les hommes. En effet, au législatif de la ville de Berne, vingt-sept femmes et dix-neuf hommes – plus de la moitié des quatre-vingts parlementaires – ont renoncé au cours des quatre dernières années.
«Une proportion qui ne me surprend pas, indique Sarah Bütikofer, professeur à l’Institut des sciences politiques de l’Université de Zurich. Un taux de rotation de 50% dans les parlements cantonaux et communaux est tout à fait normal.» La politologue et collaboratrice de l’institut de recherche démographique Sotomo explique que candidates et candidats tendent à sous-estimer l’engagement requis par la fonction publique. Et lorsqu’ils et elles doivent choisir entre carrière politique et professionnelle, le choix se porte souvent sur la seconde, moins ardue à planifier et mieux rémunérée.
Présidente du Conseil communal de Berne, Valentina Achermann pointe elle aussi la dimension économique. «C’est un problème qu’il s’agit d’empoigner pour des raisons politiques. La faiblesse des rémunérations mène à l’exclusion de certaines parties de la population qui ne peuvent pas se permettre de réduire leur temps de travail pour assumer un mandat politique.»
Contenu externe
Ce renouvellement constant du personnel politique est un problème que le Parlement de la ville de Berne affronte depuis des années. D’où l’enquêteLien externe voulue cette année par le secrétariat du conseil municipal et destinée à déterminer les raisons de ces nombreuses défections. «80% des parlementaires environ jugent malaisé de concilier la charge politique avec l’activité professionnelle, les études et les engagements privés», explique Valentina Achermann, jeune membre du Parti socialiste.
«L’enquête a permis de faire émerger un certain nombre de propositions pour améliorer la situation. Par exemple la réduction du nombre de séances, l’augmentation des émoluments ou la possibilité de nommer un ou une suppléante en cas d’absence prolongée.»
Les habitudes à changer
Sans surprise, le rythme politique est lent, trop lent pour Vivianne Esseiva. «Avec une majorité féminine, je m’attendais à des progrès plus rapides. Mais les habitudes sont difficiles à changer», confie-t-elle. L’ex-élue fait référence en particulier à l’usage de programmer les séances du Parlement en fin d’après-midi, ce qui complique la vie de celles et ceux devant s’occuper de leurs enfants.
Pour secouer le sac, la politologue Sarah Bütikofer réclame davantage d’activisme de la part des Chambres fédérales, appelées à jouer un rôle pionnier sur les questions liées à l’égalité des sexes. La récente étude «Can(‘t) have it all? Parents in the Swiss ParliamentLien externe», dont elle est co-autrice, relève l’évidence de différences entre les sexes en matière de carrière parlementaire.
Certains pays ont adopté des quotas de femmes en matière de listes électorales, lesquels ont contribué à accroître la représentation féminine. En 2007 par exemple, l’Espagne a introduit un quota minimal de 40%. Résultat: une présence des femmes au Parlement portée à 41%. Avec les quotas, l’Italie a également enregistré une progression de la représentation féminine – passée de 9,9% en 2004 à 35,8% en 2019 – parmi les plus rapides du continent.
Sur les listes des élections fédérales d’octobre 2023, les femmes étaient majoritaires dans les formations de gauche comme les socialistes et les écologistes (53,5% chacun). La liste du Parti évangélique suisse était également majoritairement féminine (51,9%). Une présence significativement moindre plus à droite de l’échiquier, avec 35,9% au PLR et 22,6% à l’UDC.
En Suisse, deux initiatives parlementairesLien externe ont réclamé une représentation plus équilibrée en matière de sexes sur les listes électorales. D’abord en modifiant la Loi fédérale sur les droits politiques, en introduisant ensuite un système d’incitation pour mieux équilibrer les listes en vue des élections au Conseil national. Ces deux propositions n’ont pas passé la rampe de la Chambre du peuple en septembre 2020.
Les mères d’enfants mineurs, par exemple, sont moins susceptibles que les pères parlementaires de devenir présidentes ou vice-présidentes de commission. «Actuellement, des progrès sont enregistrés, bien que timides, grâce aussi à la présence de jeunes mères engagées en politique, qui se battent pour améliorer la conciliation entre travail, vie privée et mandat politique», observe la chercheuse.
Elle souligne qu’aussi longtemps que les tâches familiales ne seront pas réparties équitablement au sein du couple, ce sont surtout les femmes qui en pâtiront. Elles continueront à devoir équilibrer la responsabilité des obligations du foyer avec leurs ambitions professionnelles et politiques.
La politique suisse en bref: l’essentiel pour prendre des décisions démocratiques éclairées réuni dans une seule newsletter.
«Les femmes qui font entendre leur voix sont souvent victimes de shitstorms», explique la politologue. Laquelle insiste sur la nécessité de promouvoir l’estime de soi pour encourager filles et femmes à participer activement à la vie publique et se sentir libres de s’exprimer. Il s’agit-là d’un fondement de l’engagement politique.
Bien qu’un peu amère, Vivianne Esseiva souligne pour sa part la nécessité de la participation politique. Elle invite les jeunes femmes à descendre dans l’arène. «Cela exige de la persévérance et du temps, mais c’est la seule manière de promouvoir la parité entre les sexes et mieux concilier travail, politique et vie privée.»
En Suisse, la libérale-radicale Elisabeth Kopp a été la première femme à entrer au gouvernement (Conseil fédéral) en 1984, treize ans après l’introduction du suffrage féminin.
Cheffe du Parti conservateur britannique, Margaret Thatcher a été la première femme Premier ministre au Royaume-Uni, poste qu’elle a occupé de 1979 à 1990. Personnalité politique parmi les plus les plus influentes du 20e siècle, elle est restée dans les mémoires pour ses politiques économiques néolibérales.
Isabel Perón a pris la succession de son mari Juan Perón en 1974. Elle a été la première femme présidente de l’Argentine, évincée deux ans plus tard par un coup d’État.
Première femme élue à la tête d’un État en Afrique, Ellen Eugenia Johnson Sirleaf a été présidente du Liberia entre 2006 et 2018.
Traduit de l’italien par Pierre-François Besson/op