Vendée Globe : « Il voulait manger une tartiflette en mer »… Eric Guérin, le chef étoilé qui nourrit les skippeurs
Naviguer pendant près de trois mois seul à bord, loin des siens, devoir monter en haut d’un mât de 29 mètres pendant une avarie ou se geler dans les mers du Sud… Très peu pour nous. Par contre, s’il y a bien un élément qui pourrait nous motiver à participer au Vendée Globe, hormis pour fuir les trajets quotidiens dans la ligne 13 du métro, c’est bien de se régaler avec les plats préparés par le chef Eric Guérin.
Le propriétaire du restaurant La Mare aux Oiseaux, en Loire-Atlantique a en effet collaboré avec quelques skippeurs, comme Yoann Richomme ou Charlie Dalin, pour leur mitonner aux petits oignons des plats qui les accompagneront durant cette dixième édition de la course autour du monde en solitaire et sans escale. Un entretien qui sent bon le colombo et la tartiflette.
Quelle est la genèse de votre arrivée dans le monde de la voile ?
Pendant le Covid, on était confinés avec un ami sur un catamaran aux Antilles et il m’a annoncé qu’il partait faire une transat en double alors qu’il n’était pas du tout pro. Ça m’a un peu stressé parce que je trouvais que c’était un gros engagement et, connaissant le personnage, qui était assez gourmand, je lui ai demandé comment il allait faire pour manger. Il m’a parlé du lyophilisé, des gâteaux, des bonbons… Je lui ai dit que ça serait peut-être pas mal et amusant que je puisse faire des repas.
Je suis rentré en métropole, j’en ai parlé à mon assistant Benjamin Larue qui est féru de sport, il s’est mis sur le sujet, on a construit des repas, avec un fil conducteur, où on savait chaque jour ce qu’il allait manger. Plus il arrivait vers les Antilles, plus on construisait des plats qui avaient les goûts et les saveurs des Antilles. En arrivant, mon ami en a parlé à Fabien Delahaye [un skippeur professionnel], qui m’a tout de suite appelé et nous a fait confiance. C’est parti comme ça. Fabien en a ensuite parlé sur les pontons, et on a eu un partenariat avec Charles Caudrelier qu’on suit sur toutes ses courses. Et petit à petit le cercle s’est agrandi avec Yoann Richomme, Isabelle Joschke, Charlie Dalin…
Quelles ont été les principales difficultés ?
Au départ, on a fait ça de manière très artisanale, on ne savait pas du tout où on mettait les pieds. On a tout de suite eu beaucoup de pression, parce qu’on s’est rendu compte que l’énergie du repas, c’était ce qui les faisait avancer et que si on se loupait quelque part ou si jamais ils chopaient quelque chose comme une intoxication alimentaire, c’était de notre faute. Le challenge c’était de réaliser des plats qui, pour moi, avaient du goût, des produits de qualité, une histoire, une mémoire. Il fallait que ça crée une émotion et, en même temps, que ça puisse rester des jours et des jours à des températures extrêmes. Il fallait aussi que ça se réchauffe facilement. On a aussi beaucoup travaillé sur le fait que le même plat puisse se manger en deux versions, chaud et froid.
Comment faites-vous pour que les plats se conservent ?
On a cherché beaucoup de solutions, on a fait des tests on a même aujourd’hui monté un laboratoire spécial à La Mare aux Oiseaux. On fait du sous vide appertisé dans une cuisson autoclave. Et on peut garder les produits quasiment un an à température ambiante.
Comment se passe votre collaboration avec les skippers ?
Il y a des skippers qui ont un vrai stress avec la nourriture, notamment à cause des allergies ou des grosses pertes de poids. Yoann Richomme nous a pris 75 repas pour ce Vendée Globe. C’est énorme parce qu’il faut aussi de la variété. On travaille main dans la main, on fait du sur-mesure pour chaque marin. A chaque retour de course, on les appelle, on va les voir à Lorient, on discute avec eux, on crée des menus pour eux. Avant, c’était juste un moment purement technique de manger dans un bateau : Aujourd’hui, ça devient un moment de plaisir, ils choisissent leur repas, ils choisissent le moment où ils vont le manger et c’est un moment où ça les relie un petit peu à leur [environnement] émotionnel.
Avez-vous des exemples de plats demandés par les skippeurs ?
Yoann Richomme, il nous a demandé de travailler sur un foie gras à emporter. Il est venu le goûter, il a adoré. Puis il nous a demandé de travailler sur une tartiflette, parce qu’il adore ça et voulait en manger en mer. Charlie Dalin, lui, nous a demandé un poulet au curry rouge, car c’est son plat préféré. Il en a commandé beaucoup. Et il a goûté le foie gras de Yoann, il nous a demandé 40 portions de foie gras pour le Vendée Globe. Nicolas Lunven voulait du poisson, donc on a travaillé sur de la lotte, on a fait une lotte aux petits légumes et au beurre nantais. Il adore, il en a pris plein. On garde notre esprit de restaurateur étoilé de deux manières : le goût et les textures qu’on essaie de conserver au maximum.
Cela vous change-t-il complètement de votre quotidien ?
C’est un nouveau challenge. Déjà, c’était un monde qui était totalement inconnu pour moi. Aujourd’hui dès qu’une course démarre, on est sur les téléphones, on est connecté directement avec les bases et avec les gars qui les gèrent. Et puis il a fallu comprendre aussi les challenges techniques. Pour ça, on est allé plusieurs fois en mer avec eux pour voir la façon dont ils mangent, la façon dont ils réchauffent. Et puis il y a aussi le côté nutritionnel, l’énergie, tout ce qu’il faut leur apporter pour que justement ils aient la force d’avancer. Quand on construit les plats, on fait très attention aux assaisonnements, au gras qu’on apporte dedans. On a vraiment aujourd’hui une construction sportive et c’est quelque chose que je n’avais pas du tout avant. Mais cela nourrit aussi mon professionnalisme en cuisine, et aujourd’hui je fais une cuisine qui est encore plus naturelle et plus pure aussi grâce à ça.