Sport

Ligue 1 : L’OL de John Textor peut-il sombrer comme Bordeaux ou s’en sortir comme Lille, versions Lopez ?

Les supporteurs lyonnais attendaient le retour du derby depuis près de trois ans. Mais un rendez-vous moins exaltant que ce succès face à l’ASSE (1-0) pourrait se révéler bien plus crucial pour l’histoire de leur club cinq jours plus tard. Après avoir partagé mercredi sur Instagram des vidéos dans un avion privé aux Bahamas, le propriétaire américain de l’OL John Textor sera ainsi à Paris ce vendredi, aux côtés de son directeur général Laurent Prud’homme, pour tenter de convaincre la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) sur la santé financière du club.

Il y aura fort à faire, au vu de la publication des comptes de l’exercice 2023-2024 d’Eagle Football Group (ex-OL Group), avec une perte nette de 25,7 millions d’euros, après le -99 M€ de l’année précédente et des dettes records accumulées à hauteur de 505 millions d’euros (383 M€ dès 2022 avec Jean-Michel Aulas, avant le rachat par Textor).

Plus que jamais, la petite musique « et si l’OL suivait le même destin funeste que les Girondins de Bordeaux » grimpe. Alors, peut-on effectuer un parallèle entre le fiasco Gérard Lopez à Lille puis à Bordeaux et la gestion textorienne de l’OL ?

Investissement personnel minime et recours au LBO

Lorsque John Textor avait concrétisé son rachat de l’OL pour environ 800 millions d’euros en décembre 2022, L’Equipe avait révélé que l’homme d’affaires américain n’avait mis que 5 millions d’euros de sa poche. Cela avait de quoi surprendre, mais les suiveurs du Losc comme des Girondins de Bordeaux avaient vécu un scénario comparable lors de l’arrivée de Gérard Lopez à la tête de leur club, respectivement en janvier 2017 et en juillet 2021.

Aucun apport personnel à Lille puis 10 M€ apportés dans son montage de rachat à Bordeaux, l’homme d’affaires luxembourgeois avait clairement basé son business plan dans le football sur le « leveraged buy-out » (LBO), soit le rachat par la dette. « Il y a eu plus de dettes injectées chez les Girondins au moment du rachat que d’argent injecté à ce moment-là par Gérard Lopez, même s’il a par la suite mis 10 M€ supplémentaires dans le club à l’été 2022 et 40 M€ en 2023 », confie ainsi Vincent Romain, journaliste à Sud Ouest et coauteur de Girondins de Bordeaux, enquête sur une descente aux enfers.

John Textor se défendait fermement dès sa première conférence de presse en France d’avoir recours au LBO : « Non, il n’y a pas de LBO. Je déteste ça. Je n’ai pas de dettes dans ma vie, c’est quelque chose d’horrible pour moi. Au niveau de la holding, on a investi avec nos fonds propres, on a les reins solides ». Deux ans plus tard, cette sortie médiatique n’a pas bien vieilli, d’autant que le Floridien annonçait à sa prise de fonctions vouloir rembourser les dettes de l’OL d’ici fin 2024.

Comme Lopez en son temps, la méthode Textor revient à rembourser sa dette (refinancée en décembre 2023) grâce aux revenus générés par le club, quitte à brader ses actifs, de l’équipe féminine lyonnaise à la LDLC Arena, en passant par la franchise féminine américaine de football OL Reign, toutes vendus en 2024.

Des personnalités qui séduisent

Les rares conférences de presse de John Textor depuis son arrivée à Lyon sont à la fois rafraîchissantes et imprévisibles. Au milieu de bonnes idées exposées pour tenter de faire grandir l’OL et le football français, le plus souvent sans fil conducteur, le boss d’Eagle a ainsi pu se perdre totalement dans ses chiffres lors du bilan du dernier mercato.

Cette séquence mi-amusante, mi-inquiétante résume assez bien le personnage, qui a su se faire apprécier des supporteurs lors de l’incroyable phase retour de l’OL début 2024. Capable d’assister à un tournoi international de Pentecôte U15 et de partager des bières avec les fans aux bords des terrains, John Textor a su convaincre du monde à Lyon. Tout comme Gérard Lopez y était parvenu à Lille puis à Bordeaux.

« Gérard Lopez a très vite compris quels leviers il fallait activer en arrivant à Bordeaux. Il a remis en place le logo du club, ainsi que le responsable sécurité qui avait un lien privilégié avec les Ultramarines, et il a rétabli un dialogue avec eux. C’est un excellent communicant, avec un côté charmeur, et il a dit aux supporteurs ce qu’ils avaient envie d’entendre. Le seul problème, c’est que ça se heurte vite à la réalité et aux résultats. Il nous avait annoncé un jour que Bordeaux était l’un des clubs les moins endettés d’Europe. Il a quand même fini au tribunal de commerce cet été avec 118 millions d’euros de dettes… »

Factures impayées et plan de départs volontaire

« Les Girondins ont vécu au-dessus de leurs moyens pendant trop longtemps. » Voici l’une des ritournelles fatales les plus partagées par les suiveurs du club bordelais. « Les salaires donnés aux joueurs étaient inconscients jusqu’en Ligue 2 l’an passé », complète Vincent Romain. Dans d’autres proportions, l’OL partage cette dérive d’un train de vie déraisonnable clairement amorcé avec Jean-Michel Aulas.

Gérard Lopez, ici au tribunal de commerce de Bordeaux le 17 septembre.
Gérard Lopez, ici au tribunal de commerce de Bordeaux le 17 septembre. - U. Amez/SIPA

Malgré cinq saisons consécutives sans qualification (vitale) en Ligue des champions depuis 2019, Lyon assume des salaires moyens autour des 180.000 euros brut mensuels selon L’Equipe. Dans ce contexte, l’OL a reconnu en septembre avoir des retards de paiement auprès de fournisseurs de la région, à hauteur totale d’environ 20 millions d’euros.

Des difficultés marquantes vécues là aussi au Losc comme aux Girondins époque Gérard Lopez. De même, autre signe de ses galères économiques : l’OL a annoncé il y a deux mois un plan de départ volontaire concernant 90 postes (sur plus de 600 au total au club). Le précédent bordelais à ce niveau, avant le récent PSE post-redressement judiciaire, remonte à l’automne 2020, et donc à l’ère Longuépée-King Street, avec une trentaine de postes visés.

Deux multipropriétés à trois clubs

La comparaison tient là aussi, dans les « galaxies » à trois têtes de Gérard Lopez (Lille-Mouscron-Boavista puis Bordeaux-Mouscron-Boavista) et de John Textor (OL-Botafogo-Molenbeek). Certes, le système de multipropriété est beaucoup plus concret à Lyon, rien que dans les arrivées de Jeffinho, O’Brien, Perri et Adryelson, mais Gérard Lopez s’est parfois appuyé sur le vivier de Boavista, non sans jeux d’écritures comptables.

C’est ainsi que le désormais international anglais Angel Gomes, recruté par le Losc en 2020, a été prêté une saison dans le club lisboète. Puis trois joueurs ont surtout débarqué de Boavista lors du premier mercato de Lopez à Bordeaux durant l’été 2021 : Ricardo Mangas, Gideon Mensah et Alberth Elis. Quant aux possibles flux financiers entre les différentes entités, John Textor a détaillé sa vision des choses lors de sa dernière conférence de presse en septembre à Décines.

« Nous sommes autorisés à échanger librement des actifs et du cash dans les directions que nous souhaitons. Botafogo pourrait par exemple investir de l’argent dans Eagle Football Group à Lyon. C’est donc un budget assez déroutant que nous avons présenté à la DNCG, celui d’une entreprise multinationale et pas seulement d’une équipe de football. »

Avec un constat : jamais Botafogo n’a autant investi dans son histoire que lors des deux dernières intersaisons (-52 M€ dans la balance départs-arrivées), avec à la clé la possibilité de remporter sa première Copa Libertadores.

Comme John Textor a plus que jamais besoin de nouveaux investisseurs, quelle meilleure idée que de racheter un club anglais pour en attirer ? Après avoir échoué sur le dossier Everton à la rentrée, l’Américain de 59 ans a confirmé toujours viser un club de Premier League, une fois ses parts à Crystal Palace (45 %) revendues.

John Textor, ici en octobre au stade du Maracana de Rio de Janeiro, avant un match du championnat brésilien contre Criciuma.
John Textor, ici en octobre au stade du Maracana de Rio de Janeiro, avant un match du championnat brésilien contre Criciuma. - T.Ribeiro/AGIF/SIPA

Vers une reprise par le créancier comme au Losc ?

Gérard Lopez est doublement dans l’actualité cette semaine. Condamné mercredi à 10 mois d’emprisonnement avec sursis et 45.000 euros d’amende pour complicité d’exercice illégal de la profession d’agent sportif, il a dans le même temps vu Boavista annoncer son redressement judiciaire, alors que Mouscron a fait faillite dès 2022.

Ses nombreuses affaires sulfureuses (le transfert d’Osimhen totalement surévalué à Naples, les transferts de trois jeunes joueurs du Napoli jamais vus à Lille), qui ont notamment ravi les Football Leaks, poussent le Losc à bénir la décision du fonds d’investissement Elliott d’évincer Lopez, fin 2020, parce qu’il tardait à rembourser une dette de 225 millions d’euros après la crise du Covid-19. En course vers un sacre en Ligue 1 inattendu, les Lillois seront champions cinq mois plus tard avec une nouvelle équipe autour d’Olivier Létang.

Au contraire de Girondins totalement sans actif, le Losc est finalement davantage comparable à l’OL, au vu des 130 M€ investis par Elliott qui ont vite alimenté le mercato 2017 avec le tandem Gérard Lopez-Luis Campos et un bel actif joueurs à la clé. Il y a comme autre point commun la présence de prêteurs américains (Elliott et Ares), les perspectives de qualifications européennes, et donc des dettes cumulées colossales, qu’Olivier Létang estimait à son arrivée à 400 M€, désormais assainies.

Les supporteurs lyonnais rêvent de revivre des matchs de Ligue des champions contre le Real, l'Atlético et la Juve comme le fait cette saison le Losc d'Olivier Létang.
Les supporteurs lyonnais rêvent de revivre des matchs de Ligue des champions contre le Real, l’Atlético et la Juve comme le fait cette saison le Losc d’Olivier Létang. - F. Lo Presti / AFP

Le fonds d’investissement Ares, qui a prêté 400 M€ à Eagle Football, serait-il disposé à reprendre le club si John Textor se déclarait en défaut de paiement ? Cette configuration s’est matérialisée à l’AC Milan et au Losc (Elliott) ainsi qu’à l’Inter Milan où le créancier Oaktree a repris la main l’an passé.

Les créanciers de l’OL vont-ils demander des comptes à Textor, et jusqu’à quand estiment-ils que la dette est soutenable ? La principale question est là, plus encore que dans le rôle que pourrait jouer la DNCG si elle estime le risque de cessation de paiements concret.

Une rétrogradation administrative déjà envisageable ?

Non, le Losc et les Girondins de Bordeaux version Gérard Lopez n’ont jamais subi une menace aussi brutale en pleine saison. Il en sera donc de même pour l’OL ce vendredi face à la DNCG, avec comme plus grand risque encouru une rétrogradation à titre conservatoire. Celle-ci pousserait le club lyonnais à un nouveau rendez-vous décisif devant l’instance dans six mois pour statuer pour de bon quant à une relégation administrative.

La principale conséquence négative serait une sensible décote des actifs. De même, un encadrement de la masse salariale et du recrutement pourrait tomber, comme à l’été 2023. Un autre mauvais signal, puisqu’il s’accompagne du besoin assumé par Eagle Football de « réaliser des cessions de joueurs lors du mercato de janvier 2025 ».

Notre dossier sur l’OL

En clair, est-il possible d’aller chercher le podium (voire le Top 4) synonyme de qualification en Ligue des champions si la phase retour doit se faire sans Malick Fofana et Rayan Cherki, les deux principales valeurs marchandes de l’effectif ? L’OL too big to fail, avec son immense stade qui reste son principal actif ? On aura un premier élément de réponse ce vendredi.