France – Israël : « Un fossé qui se creuse »… Entre désamour et lassitude, les fans des Bleus ne sont plus à la fête
Shit, here we go again. Petite devinette, pour vous, à la maison : quelle est la différence entre les vacances scolaires et une période entre deux trêves internationales ? Aucune, les deux passent beaucoup trop vite. C’est vrai ça, à peine a-t-on eu le temps de balancer notre cartable (ou l’équipe de France) dans un placard qu’il est déjà temps de le (ou la) retrouver en traînant des pieds.
Car si le match de jeudi contre Israël en Ligue des nations prend beaucoup de place dans l’actualité, ce n’est pas tant par son intérêt sportif, ni par joie de retrouver nos Bleus, que par le contexte géopolitique au Moyen-Orient que les événements d’Amsterdam avec les ultras du Maccabi Tel Aviv n’ont pas arrangé le week-end dernier. Le Stade de France s’apprête d’ailleurs à sonner creux (on parle d’à peine 20.000 spectateurs pour 5.000 policiers), mais il faut là encore lier ça au contexte brûlant de ce match plutôt qu’à une bouderie des supporters français contre leur équipe.
Ce qui ne veut pas dire pour autant, vous en conviendrez, et c’est le cas tous les ans du reste, qu’on n’aurait pas donné cher pour se passer des services de cette ultime trêve de l’année. Au bout du fil, Régis Brouard nous claque un « high five » virtuel. « Je me suis fait la même réflexion “ah ouais, les Bleus rejouent déjà ?” Cette dernière fenêtre internationale est clairement celle de trop, que ce soit pour nous, supporters, spectateurs, mais aussi pour les joueurs », valide l’ancien entraîneur de Clermont et de Bastia.
Un fossé qui se creuse entre les fans et leur équipe
Pour ne rien arranger, elle coïncide avec une période un peu moisie de l’histoire des Bleus. Pas tant du fait des résultats, puisque la bande à DD reste sur trois victoires en quatre rencontres et neuf buts marqués, mais plutôt d’un point de vue de l’ambiance générale autour de cette équipe, entre la poursuite de l’aventure de Deschamps, que beaucoup espéraient voir passer la main après l’Euro, le départ de Griezmann, que personne n’avait vu venir, et la telenovela permanente autour de Mbappé, que personne ne peut plus voir.
La mauvaise audience (un peu moins de quatre millions de téléspectateurs sur TF1) lors du match contre Israël en octobre, la pire depuis un France-Bolivie à la Beaujoire en juin 2019, raconte un peu plus que l’histoire d’un adversaire anonyme que personne n’a envie de regarder. Elle traduit en chiffres un sentiment diffus qui nous accompagne depuis de longs mois maintenant autour de cette équipe de France.
« Je ne sais pas si on peut aller jusqu’à parler de désamour, mais il y a un fossé qui se creuse entre cette équipe et ses supporters, c’est sûr, valide coach Brouard, en stage du côté du Touquet avec sa nouvelle équipe de Rouen. L’explication est double, selon moi : trop d’histoires extra-sportives autour de certains joueurs, et une communication qui n’a pas toujours été très bonne ces derniers temps. Dire au public que s’il n’est pas content, il n’a qu’à changer de chaîne, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure chose à faire. »
Cette sortie de Deschamps, piqué au vif par les nombreuses critiques entendues à l’Euro, n’est pas de nature à réconcilier le public de son équipe et son sélectionneur. Tout comme les mots de Mbappé, deux mois plus tard, qui assurait avant son retour en France sous le maillot bleu que ce que pensait le public de lui était le « cadet de [ses] soucis ».
Un truc s’est cassé
Expert en communication auprès de clubs de foot, Florian Ridard y voit « plus de la maladresse que du dédain » mais il admet volontiers que « le sujet de l’image dégradée est réel et [que] Didier Deschamps le sait ». La première affaire Mbappé, non convoqué en octobre pour cause de pépins physiques mais qui gambadait joyeusement sur le terrain avec le Real deux jours plus tard, a fait beaucoup de mal aux Bleus et à Didier Deschamps, qui est passé publiquement pour ce qu’il n’a pas envie de passer, à savoir un imbécile. D’où cette reprise en main du sélectionneur, lequel a de nouveau choisi de se passer de son capitaine, sans en expliquer la raison.
« Il faut selon moi opérer une forme de reset après plusieurs mois de crise, entre guillemets, juge l’expert en communication. Ça a servi à Deschamps pour faire passer deux messages : le premier c’est que personne n’est intouchable et, la deuxième, c’est que le patron, c’est lui. Il a même refusé de s’expliquer. Pour vous, journalistes, c’est incompréhensible, mais ça ne l’est pas du tout pour lui dans sa stratégie de s’adresser avant tout au reste du vestiaire. »
Si ce désamour du public ne date pas de ces dernières semaines, il est forcément corrélé et amplifié par les déboires de son capitaine. « Sur le plan de sa communication personnelle, Deschamps a plutôt intérêt à démarquer son image de celle de Mbappé, pour ne pas être pris dans la même spirale », poursuit Florian Ridard.
Zapper ou ne pas zapper, telle est la question
Mais la cote de popularité des Bleus avait déjà pris un joli coup dans les lampions cet été, lors d’un Euro plus que laborieux pour l’équipe de France d’un point de vue du jeu. Et ce qui nous faisait tenir collectivement devant les matchs des Bleus – la compétition, la soif de victoire et de fiesta collective – a disparu à l’heure de replonger dans cette Ligue des nations sans intérêt sportif. « Je suis persuadé aujourd’hui qu’entre un match des Bleus en Ligue des nations et un bon film, les gens peuvent hésiter, ce qui n’aurait jamais été le cas par le passé », réfléchit Régis Brouard.
Lui-même nous avoue avoir parfois du mal à tenir 90 minutes. « Ça reste l’équipe nationale, je continue de regarder les matchs mais je ne suis pas aussi concentré que d’habitude, il m’arrive de m’ennuyer. On ne peut pas le nier, ce qu’ils présentent n’est pas toujours très attractif. Parfois, je vais me lever pour prendre un truc à grignoter, si on m’appelle au téléphone je vais répondre, ce que je ne fais pas d’habitude quand je regarde un match. Et je me suis même surpris à zapper ».
Si les supporters les plus fervents et engagés derrière les Bleus ont trop de reconnaissance envers le sélectionneur pour crier haut et fort leur lassitude, « il n’y a pas grand monde à l’heure actuelle qui prend du plaisir » nous glisse-t-on à l’oreillette de leur côté. Que faut-il faire alors pour rallumer la flamme, sachant que ce n’est pas du terrain que viendra l’étincelle ? Les plus tenaces chercheront les réponses ce jeudi devant TF1, les autres y réfléchiront devant Retour vers le Futur 2 sur TMC, en rêvant de DeLorean et de voyage dans le temps, à une époque où les Bleus savaient encore nous faire vibrer.