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Pourquoi c’est mauvais pour la santé de vapoter du e-liquide aux fruits rouges ?

Fruits rouges, grenadine, fraise des bois façon bonbons de notre enfance ou encore menthe : non, il ne s’agit pas de parfums de glace ou de confiseries, mais d’une petite partie de la très longue liste des arômes de e-liquide pour cigarette électronique. Produit de sevrage plébiscité par les fumeurs souhaitant arrêter le tabac, la cigarette électronique accompagne les 7,3 % de Français de 18 à 75 ans qui déclarent vapoter, selon les chiffres de 2023 de Santé publique France. Et ils sont 5,5 % à vapoter quotidiennement.

Et pour ne pas replonger dans la clope, beaucoup d’adeptes de la vape misent sur le choix de leur e-liquide, ou liquide de recharge de leur cigarette électronique. Selon son profil, chacun a ainsi un large choix entre différents dosages en nicotine, et entre une liste de parfums plus longue que les cheveux de Raiponce. Mais tous les arômes proposés ne sont pas inoffensifs. Certains seraient d’ailleurs potentiellement nocifs pour la santé. Lesquels ? Et avec quels effets ?

Les vapoteurs accros aux arômes

Si un flacon de e-liquide est tout petit, la liste des ingrédients qui le composent est longue. Un liquide de recharge « est une solution composée majoritairement d’un support de dilution, propylène glycol (PG) et/ou de glycérol (glycérine végétale, VG) auquel sont ajoutés un mélange d’arômes et de la nicotine dans des concentrations variables, détaille l’Anses.

Lors de l’utilisation, le e-liquide est chauffé au contact de l’atomiseur. Il se forme alors un aérosol dont la composition finale varie non seulement en fonction de la composition du e-liquide mais aussi du dispositif électronique utilisé, de ses réglages, et du mode d’inhalation ».

A ce jour, des milliers de substances sont utilisées comme ingrédient, et un e-liquide contient « généralement entre 2 et 16 ingrédients », poursuit l’Anses. Ces liquides « comportent plusieurs substances conférant un goût ou une saveur. Les plus fréquentes sont la vanilline, le maltol, les menthol, les esters aux odeurs fruitées, complète l’agence sanitaire. Les arômes ou « saveurs » résultent des mélanges de substances permettant de donner un goût et une odeur à l’aérosol. Il en existe plusieurs variétés allant des plus classiques comme le tabac ou la menthe à des arômes fruités, épicés, lactés, évoquant des boissons ou des desserts, des arômes dits « gourmands » ».

Et certaines sont tout simplement à bannir, bien qu’elles soient prisées des vapoteurs. En cause : leur nocivité potentielle. Or, selon un rapport de l’Anses sur l’étude des pratiques et usages du vapotage publié fin 2022, « près de la moitié des vapoteurs [interrogés] utilisent des saveurs aux fruits pour leurs e-liquides (47 %) », surtout « les femmes (53 %) et les 18-34 ans (63 %). Et les autres saveurs fréquemment déclarées sont le menthol (35 %) ».

Certains arômes à bannir

Problème : ce sont précisément les arômes à bannir. Selon une étude menée par des chercheurs de l’université McGill au Canada et publiée dans la revue The Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) fin septembre, l’inhalation de vapeur d’e-liquides aromatisés aux fruits rouges affaiblit les défenses naturelles des poumons, ce qui diminue la capacité de l’organisme à lutter contre les infections respiratoires, déplorent les auteurs.

Une toxicité potentielle déjà soulevée par le site Stop tabac, qui met en garde contre les e-liquides aromatisés à « la cannelle, la fraise et le menthol. On a rapporté une cytotoxicité accrue – une action destructrice d’une substance sur des cellules –, des perturbations des biomarqueurs pro-inflammatoires avec certains arômes et une augmentation du stress oxydatif ».

Mais ce n’est pas le seul danger potentiel à long terme : Selon la British Medical Association, « l’utilisation des arômes est un autre facteur majeur de la forte augmentation de l’utilisation du vapotage, en particulier chez les enfants. Il existe actuellement des milliers d’arômes d’e-liquides sur le marché, dont beaucoup sont sucrés et visent directement les enfants en imitant les parfums de confiserie et de bonbons. Les tactiques marketing décrivent de manière stratégique des arômes qui plairaient aux enfants. Cela conduit à l’initiation au vapotage et peut contribuer à une utilisation régulière ».

Manque de recul sur les effets des arômes

Et la problématique des risques associés aux arômes des e-liquides préoccupe autorités sanitaires et médecins depuis plusieurs années. En pratique, l’Anses « constate que les liquides à vapoter sans nicotine, avec des arômes concentrés aux saveurs multiples, sont largement utilisés par les vapoteurs ». Problème, « il y a une grosse inconnue sur la composition des liquides aromatisés ne contenant pas de nicotine : ils ne sont ni testés, ni soumis à une réglementation avant leur mise sur le marché », explique le Pr Loïc Josseran, président de l’ACT-Alliance contre le tabac.

Ainsi, « ni les dispositions protectrices pour la santé telles que les interdictions de certains ingrédients, ni les obligations déclaratives auxquelles sont soumis les fabricants de produits du vapotage ne portent sur les produits sans nicotine », déplore l’Anses. Or, souligne le Pr Josseran, il y a peu de chances qu’un e-liquide « aromatisé au bonbon à la fraise soit conçu à partir d’une barquette de fruits frais. Pour proposer cette multitude de parfums, les industriels ont forcément recours à un arsenal de molécules chimiques dont on ne sait rien ou presque. Leurs liquides contiennent-ils des additifs problématiques, ont-ils des effets perturbateurs endocriniens ? On l’ignore, on est sur une absence totale de données ».

Mais « ce qui est sûr, c’est que les poumons ne sont pas faits pour inhaler des arômes de bonbon à la fraise, a abondé le Pr Yves Martinet, pneumologue et président du Comité national contre le tabagisme (CNCT). Des arômes utilisés par l’industrie alimentaire qui, d’un point de vue digestif, ne posent pas de problèmes particuliers. Mais on ne sait rien des éventuels effets délétères lorsqu’ils sont chauffés et passent dans les voies respiratoires ».