COP29: La Suisse veut inclure la Chine et la Russie parmi les pays qui payent pour la crise climatique
Alors que la conférence de l’ONU sur le climat (COP29) s’ouvre lundi à Bakou, en Azerbaïdjan, la Suisse propose que les pays en développement gros émetteurs de CO2, comme la Chine et la Russie, contribuent au financement de projets climatiques dans les pays pauvres. Cette approche est controversée.
Remplacer une centrale à charbon par son équivalente basée sur les énergies renouvelables, bâtir des digues contre les inondations ou promouvoir les techniques agricoles durables, autant de mesures indispensables pour réduire les émissions de CO2 et s’adapter au changement climatique. L’urgence de ces interventions se fait particulièrement sentir dans les pays les plus vulnérables. Des pays qui, souvent, n’ont pas contribué à la hausse des émissions et qui n’ont pas les moyens d’agir. Il s’agit par exemple du Pakistan ou de la Somalie.
Une question se pose alors: qui doit financer la transition vers une société à faibles émissions et les solutions visant une plus grande résilience climatique de ces pays? La réponse la plus évidente est: les principaux responsables. Donc les nations qui ont rejeté le plus de gaz à effets de serre et qui ont joué un rôle prépondérant dans la hausse des températures. En d’autres termes, les pays industrialisés.
Mais cette vision, partagée depuis des décennies, est remise en question. Le monde a changé et des pays autrefois responsables de fractions réduites des émissions globales, comme la Chine et l’Arabie saoudite, font aujourd’hui partie des plus gros émetteurs de CO2Lien externe. Ces pays doivent-ils aussi contribuer au financement de projets climatiques dans les pays pauvres?
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C’est la question à laquelle doit répondre la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29Lien externe), à Bakou, en Azerbaïdjan, entre le 11 et le 22 novembre. Un sommet censé adopter un nouvel objectif de financement du climatLien externe, où les représentants et représentantes de près de 200 pays, dont la Suisse, négocieront autour de la question de savoir qui devrait contribuer de sa poche et pour quel montant total.
Parmi les propositions sur la table figure celle de la SuisseLien externe, premier pays avec le Canada à présenter des critères précis pour élargir la base des États contributeurs.
«Personne ne conteste le fait que les pays industrialisés ont le devoir de participer au financement pour le climat, assure à SWI swissinfo.ch Felix Wertli, le négociateur en chef de la Suisse à la COP29. Mais nous pensons que les pays en développement qui aujourd’hui génèrent beaucoup d’émissions et qui ont la capacité économique de le faire devraient aussi contribuer.»
>> L’animation ci-dessous montre l’évolution des émissions de CO2 dans les principales économies mondiales:
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Un financement devenu insuffisant
Adoptée en 1992, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) définit les pays tenus de fournir une aide financière au reste de la planète. Ces pays – les États-Unis, les membres de l’Union européenne, la Suisse, la Grande-Bretagne, le Japon et d’autres – se sont engagés en 2009 sur 100 milliards de dollars par an d’ici 2020. Objectif atteint, mais seulement en 2022.
Avec l’intensification de la crise climatique, plus d’argent est toutefois devenu nécessaire. Les pays en voie de développement requièrent selon les Nations Unies un montant cinq fois supérieur, soit quelque 500 milliards de dollarsLien externe par an, pour lutter contre les effets du changement climatique. Une estimation jugée insuffisante par l’Inde et les États africains, pour qui l’enveloppe totale devrait atteindre au moins 1000 milliards de dollars par an.
«Plus nous élargissons la liste des pays contributeurs et plus le montant total du nouvel objectif pourra être élevé», plaide Felix Wertli. La question est également politique. Si tous les pays en mesure de le faire contribuent à cet objectif, la Suisse et d’autres nations industrialisées seront peut-être plus enclines à accroître leurs financements, sachant qu’il s’agit d’un effort commun, note le diplomate.
L’Union européenneLien externe, les États-Unis et d’autres pays industrialisés partagent cette vision et demandent une participation des pays en développement devenus gros émetteurs de gaz à effet de serre et jouissant d’une forte croissance économique. Une revendication qui s’adresse à la ChineLien externe en particulier, devenue premier émetteur mondial.
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Chine, Russie et États du Golfe sur la liste suisse
La Suisse propose d’élargir le groupe des pays contributeurs sur la base de deux modèles. Le premier considère les dix États qui émettent aujourd’hui le plus de CO2 et dont le revenu national brut par habitant, à parité du pouvoir d’achat, dépasse 22’000 dollars.
Un groupe qui inclurait l’Arabie saoudite, la Russie et la Chine. L’Inde, le Brésil et l’Indonésie, qui font partie des nations les plus peuplées et les plus pollueuses, en seraient exclues.
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Le second modèle prend en compte les pays dont les émissions cumulées atteignent au moins 250 tonnes par habitant depuis 1990 et dont le revenu national brut par tête dépasse 40’000 dollars. Un scénario qui inclurait quasiment tous les États du golfe Persique – Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït et Bahreïn – et Singapour, la Corée du Sud, Israël, la Pologne et la République tchèque.
L’Overseas Development Institute (ODI), un groupe de réflexion indépendant basé à Londres, arrive à une conclusion similaireLien externe. Le Qatar, Singapour et Israël devraient commencer à fournir une aide financière, selon l’ODI.
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Forces et faiblesses de la proposition
La proposition suisseLien externe d’élargir le cercle des pays contributeurs est une «réponse pragmatique» à l’urgence croissante de l’action climatique, affirme Brurce Mecca, du Climateworks Centre de l’Université Monash, en Australie. «Sa force réside dans le fait qu’elle part du principe que la responsabilité climatique ne devrait pas uniquement incomber aux pays contributeurs traditionnels», précise-t-il à SWI swissinfo.ch.
Mais cette approche ne doit pas diluer la responsabilité historique des pays qui ont le plus bénéficié de l’industrialisation fondée sur les combustibles fossiles, souligne Brurce Mecca. «Le risque existe que les pays les plus riches éludent leurs obligations de financement climatique en faisant peser un fardeau excessif sur les économies émergentes comme la Chine et l’Arabie saoudite et potentiellement sur les pays à revenu intermédiaire.»
«Le risque existe que les pays les plus riches éludent leurs obligations de financement climatique en faisant peser un fardeau excessif sur les économies émergentes.»
Brurce Mecca, Climateworks Centre
Pour Bertha Argueta, de Germanwatch, une ONG axée sur le développement et l’environnement, le modèle suisse a l’avantage de permettre l’inclusion de nouveaux pays contributeurs une fois qu’ils auront atteint des seuils établis d’émissions et de richesse. «Cela évitera de devoir rouvrir les négociations dans les années à venir», juge-t-elle.
Cette spécialiste s’interroge toutefois sur l’intention réelle de la Suisse. D’autres méthodologies, nombreuses, explique-t-elle, prennent en compte les émissions par habitant, ce qui exclurait la Chine. Des études plus récentesLien externe introduisent d’autres facteurs pertinents comme le niveau de développement du pays en question. Bertha Argueta suspecte la Suisse d’avoir échafaudé une proposition avec à l’esprit de potentiels pays candidats, pour des raisons politiques, sans le nommer ouvertement.
La proposition suisse a un autre défaut, selon Imogen Outlaw, du NewClimate Institute. Elle ne tient pas compte de la vulnérabilité face au changement climatique.
Tout pays devrait contribuer à l’objectif
Qui plus est, les économies émergentes s’opposentLien externe à toute révision du groupe des pays contributeurs. Porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian a indiquéLien externe que les pays développés doivent assumer leur responsabilité historique dans les futurs accords sur le financement climatique, sans reporter cette responsabilité sur les pays en développement.
Comme d’autres économies émergentesLien externe, la Chine finance déjà divers projets d’abandon des énergies fossiles et d’adaptation au changement climatique dans d’autres pays en développement. Mais elle le fait à ses propres conditions, dans le cadre de la coopération Sud-Sud. Entre 2013 et 2022, elle a dépensé 4,5 milliards de dollars par anLien externe en moyenne. En comparaison, la contribution suisse au titre de la CCNUCC s’est chiffrée à 847 millions de francs (970 millions de dollars) en 2023.
Le négociateur suisse Felix Wertli reconnaît l’engagement financier de la Chine et d’autres pays en développement. Mais il déplore l’absence de transparence. «Nous ne savons pas s’il s’agit de stricts prêts ou de financements liés à certaines exigences.»
A priori, la proposition suisse a peu de chance de passer la rampe à la COP29. Mais elle pourrait accroître la pression sur certains États en les incitant à participer sur une base volontaire au financement public en matière climatique. Et les encourager à communiquer de manière transparente leur contribution aux Nations Unies, sans pour autant renoncer au statut de pays en développement.
«Nous ne cherchons pas à modifier la classification des pays, assure Felix Wertli. Nous voulons seulement que tous les pays contribuent au nouvel objectif financier collectif en fonction de leurs moyens. C’est le seul chemin pour permettre de réduire les émissions et limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. »
Texte relu et vérifié par Veronica De Vore, traduit de l’italien par Pierre-François Besson/dbu