France

Mois sans tabac : « Un moyen de faire des rencontres »… Pourquoi autant de jeunes fument-ils encore la cigarette ?

On la croyait ringarde, dépassée, has-been. Pourtant, elle est toujours là, entre les lèvres de collégiens, lycéens ou étudiants. La cigarette. Évidemment, sa consommation a baissé. Plus d’un jeune de 17 ans sur quatre (25,1 %) fumait quotidiennement en 2017, selon l’enquête Escapad de l’OFDT. Ils n’étaient plus que 15,6 % en 2022. Une chute, certes, mais un jeune sur six porte donc encore une clope à son bec tous les jours. Chez les 15-24 ans, les Français ont la médaille d’argent des plus gros fumeurs en Europe, selon une étude publiée dans The Lancet en 2021.

De nombreuses mesures ont été prises ces dernières années pour faire descendre l’Hexagone du podium. Augmentation du prix du paquet, interdiction de fumer dans de plus en plus de lieux publics et instauration d’un paquet neutre, notamment. Alors, comment expliquer qu’autant de jeunes fument encore ?

« Je trouvais ça cool »

A peine les grilles de son lycée ouvertes, Maxime, 19 ans, K-Way à sur le dos, tire une cigarette de son paquet. L’élève en BTS dans cet établissement du 14e arrondissement de Paris a fumé sa première clope à 11 ans, « pour faire comme [s] a mère », puis régulièrement à partir de la seconde. Pour Hervé Martini, médecin addictologue, tabacologue et secrétaire général de l’association Addictions France, « il ne faut pas nier l’influence des pairs, des parents mais aussi des copains avec qui on fume pour s’intégrer ». Et ce n’est pas Adèle qui dira le contraire. La petite brune de 23 ans fume en terrasse, près de la Porte Saint-Martin, en ce jeudi soir frisquet. « Au lycée, en Normandie, tout le monde fumait. Pendant six mois, j’étais la seule qui ne fumait pas et j’ai fini par craquer en soirée. »

Non loin d’Adèle, un groupe d’amis enchaîne les pintes. Ils sont six. Tous fument. Comme la plupart des clients du bar, dont la moyenne d’âge doit se situer entre 20 et 25 ans. « Je ne trouve pas que la cigarette soit devenue ringarde, ce sont les puffs [des cigarettes électroniques à usage unique] qui sont ridicules », balance Marion, 22 ans, blouson en cuir sur le dos, roulée au bec et pinte à la main. La « tige » fait donc toujours rêver, selon le professeur Loïc Josseran, médecin, chercheur en santé publique et président de l’Alliance contre le tabac. « L’imaginaire créé par les industriels selon lequel la cigarette rendrait les garçons plus virils et les filles plus séduisantes fonctionne toujours. » Julie, blonde à frange de 23 ans, qui fait partie de la bande, en rigole aujourd’hui mais le reconnaît : « J’ai commencé parce que je trouvais ça cool. »

Une manière de faire des rencontres

Pour tous les jeunes interrogés, la cigarette va de pair avec l’alcool. « Je n’arrive plus à boire une bière sans fumer de clope », confesse Adèle. Si l’étudiante peut se passer de cigarettes pendant une semaine si elle ne sort pas, elle reconnaît fumer jusqu’à un paquet en une seule soirée. Une consommation nocturne qu’on retrouve à peu près chez tous ceux interrogés. « La clope, c’est un vrai moyen de faire des rencontres, d’approcher des gens, en demandant un briquet par exemple ou en sortant fumer en soirée, affirme Marion. C’est un cheval de Troie de l’amitié ! »

Une question de rencontres donc, mais pas seulement. « C’est en troisième année d’études, une période très stressante, que j’ai commencé à fumer beaucoup plus, se remémore Julie. Et quand je fais une pause, je sors et je fume. Je ne vais pas rester là sur TikTok sans rien faire… même si c’est ce que je fais en d’autres circonstances », se marre-t-elle. Pour sa copine Marion, étudiante en école de mode, c’est aussi une question d’ennui. « Quand je suis à fond sur un projet, je peux ne pas cloper de la journée. »

« C’est dans mon budget sortie »

Et si autant de jeunes consomment des cigarettes, c’est aussi simplement parce qu’ils peuvent en acheter malgré l’interdiction de la vente aux mineurs. D’après un testing réalisé par le Comité national contre le tabagisme en 2019, deux buralistes sur trois vendent du tabac aux mineurs de 17 ans. Plus grave encore : près de 10 % des buralistes testés ont vendu des cigarettes à des enfants de 12 ans.

Devant son lycée privé, Léna, 17 ans, explique qu’elle n’a jamais eu de mal à s’en procurer. Et si le paquet est cher pour elle, l’élève de terminale a trouvé la solution. « J’achète des cigarettes à l’unité, auprès de potes ou chez des commerçants. » Pour Adèle, le prix n’est pas un frein. « Comme je fume seulement en soirée, ça reste un plaisir et je le mets dans mon budget sortie. »

Les puffs et cigarettes électroniques

Léna la lycéenne est depuis passée à la puff. Un gros engin bariolé vert fluo. « J’avoue, depuis, je la fume un peu tout le temps ». Pareil pour Julie qui s’est tournée, elle, vers une cigarette électronique noire et rouge. « Des jeunes peuvent aussi commencer par ces produits dérivés pour le côté fun mais devenir rapidement dépendants à la nicotine », souligne Hervé Martini.

La British american tobaco a d’ailleurs investi 1,157 milliard pour une campagne de publicité sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, en utilisant des influenceurs, pour promouvoir de nouveaux produits sans tabac, mais avec nicotine.

Le cancer vu comme « une maladie de vieux »

Terminons par la question centrale : et les risques pour la santé, dans tout ça ? « J’y pense mais j’essaie de me persuader que comme je ne fume pas régulièrement, ça ne va pas me toucher », tente de se convaincre Adèle. Sa mère vient pourtant d’avoir une pneumonie et plusieurs amies de cette dernière des cancers liés au tabagisme. « On se dit que ça n’arrive qu’aux autres et puis, de toute façon, j’ai décidé d’arrêter à 25 ans », tranche Marion.

Pour Hervé Martini, tout est aussi une question de temporalité. « Il y a une baisse significative du tabagisme chez les jeunes mais les dispositifs mettent du temps à se mettre en place. On verra leurs effets dans dix, quinze ans. » Et d’après Adèle, dont la plupart des amis essaient d’arrêter, les mentalités sont en train de changer. « Je ne sais pas si c’est parce que je vieillis ou s’il y a un changement dans notre génération, mais j’ai l’impression que ça devient moins stylé de fumer, un peu comme l’alcool. » Son amie Violette, qui sirote un mojito sans alcool juste à côté d’elle, confirme. « Depuis que j’ai arrêté de boire, je n’ai plus envie de fumer », explique-t-elle avant d’admettre : « il faut que je tienne maintenant. »