Faire des aveux en plein procès permet-il d’écoper d’une peine moins lourde?
Début de semaine, un homme accusé d’assassinat dans un procès d’assises est passé aux aveux alors qu’il a toujours nié les faits. Dans un autre procès plus retentissant, un des principaux prévenus avait fait pareil au premier jour de son procès. Stratégie de défense ou regrets sincères? Avec quels effets?
- Publié le 10-11-2024 à 19h27
« J’ai joué, j’ai perdu« . C’est par ces mots que E.M.G. a entamé la première audience du méga procès (plus de 120 prévenus) Sky ECC, le 18 décembre 2023. Des propos qui devaient permettre un peu plus de clémence de la part de la justice. C’est d’ailleurs ce qu’avait plaidé Me Nathalie Gallant, l’avocate de E.M.G., estimant que son client avait collaboré avec la justice. Le ministère public avait requis 19 ans de prison, mais le tribunal correctionnel de Bruxelles a finalement condamné E.M.G. à une peine de 14 ans. Pourquoi passer aux aveux ?
La question s’est à nouveau posée en début de semaine, cette fois devant la cour d’assises de Bruxelles. Cinq hommes doivent répondre de l’assassinat de Frank Goes, un entrepreneur de 54 ans, mais aussi de tentative d’assassinat sur un architecte.
Si D.D., un des accusés a avoué son implication dès le 7 janvier 2021, soit un peu plus de trois mois après les faits, un autre accusé, Y.A., est lui passé aux aveux à l’entame du procès, ce lundi 4 novembre. « J’ai décidé de vous dire la vérité. Je suis désolé et je vous présente mes condoléances. Je répondrai à toutes vos questions« , a déclaré Y.A. qui avait jusqu’alors toujours nié les faits. « J’ai des remords. C’est un acte ignoble, mais j’étais aveuglé. Aujourd’hui, je ne sais même pas pourquoi j’ai accepté de faire ça« .
Pourquoi ces accusés choisissent de « passer à table » en plein procès ? S’agit-il de cas exceptionnels ou de faits plutôt habituels dans les procès d’assises et en correctionnelle ?
Se concentrer sur la peine
Me Catherine Toussaint explique que devant un tribunal correctionnel, les aveux en cours de procès sont relativement fréquents. « Notre métier d’avocat, c’est d’abord d’être un conseiller pour notre client. Et quand les éléments factuels sont trop importants, que la culpabilité est trop évidente que pour être niée, le conseil le plus judicieux à prodiguer, c’est d’avouer, explique la pénaliste. Cela n’arrive pas à chaque procès, mais j’ai été confrontée à ce genre de situations à de multiples reprises. »
guillement « Si une faute avouée permet d’ouvrir la porte à une peine un peu plus limitée, plus clémente, cela peut aussi et surtout être considéré comme un premier pas vers la conscientisation. Et si un juge estime que des aveux sont le début d’une prise de conscience, d’une réflexion sur l’infraction commise et qu’il y a donc des regrets, cela peut être bénéfique. »
Serait-ce vrai que, face à la justice, une faute avouée est à moitié pardonnée, d’où l’intérêt d’un tel conseil ? « Oui, c’est en partie vrai, même si cela ne détermine pas, de facto, l’issue d’un procès, poursuit Catherine Toussaint. Si une faute avouée permet d’ouvrir la porte à une peine un peu plus limitée, plus clémente, cela peut aussi et surtout être considéré comme un premier pas vers la conscientisation. Et si un juge estime que des aveux sont le début d’une prise de conscience, d’une réflexion sur l’infraction commise et qu’il y a donc des regrets, cela peut être bénéfique. Le juge posera, certes, de nombreuses questions pour comprendre pourquoi un prévenu avoue un délit. Et si c’est sincère, la peine peut éventuellement être moins lourde ».
Elle poursuit. « Par ailleurs, quand il y a des aveux, l’avocat peut, dans sa plaidoirie, mieux se concentrer sur la peine. Cela laisse forcément plus de place à un débat sur la question, en mettant en exergue qu’un prévenu qui a avoué est prêt à emprunter le chemin de la rédemption et à tenter de réparer les torts auprès des victimes. »
Et de conclure : « Le choix de la défense appartient au prévenu. Donc s’il refuse d’avouer, ce sera son choix et, nous, avocats, ne pouvons pas aller à l’encontre. Mais – et on ne le dit jamais assez – l’avocat a pour mission première de conseiller son client. Notre rôle n’est pas de défendre l’indéfendable, de plaider n’importe quoi dans n’importe quelles conditions. C’est pourquoi, lorsque des aveux sont ce qu’il y a de plus vertueux, c’est la meilleure chose à faire. »
guillement « Attention, faire des aveux, cela doit être un acte sincère. Certains usent de cela comme d’une stratégie de défense, en espérant qu’il suffit de mettre la main sur le cœur et dire tout haut ‘je regrette ce que j’ai fait’. Mais la justice n’est pas dupe ».
« Un accusé est aussi un humain »
Me Nathalie Gallant partage la même analyse. « Fondamentalement, que ce soit devant les assises ou en correctionnelle, cela ne change pas grand-chose. Ce qui pousse, selon moi, un accusé ou un prévenu à avouer, ce n’est pas lié au type de procès, entame l’avocate. D’expérience, je vois deux raisons. Soit parce que les éléments sont si accablants que contester l’évidence ne sert à rien, sauf à prendre le risque d’écoper d’une plus lourde peine. Soit parce que l’accusé ou le prévenu, qui est aussi un être humain, le fait parce qu’il a besoin de soulager sa conscience. Car, contrairement à ce que l’on peut imaginer, les avocats ne défendent pas que des méchants n’ayant ni remords, ni regrets. »
Et l’avocate d’insister : « Attention, faire des aveux, cela doit être un acte sincère. Certains usent de cela comme d’une stratégie de défense, en espérant qu’il suffit de mettre la main sur le cœur et dire tout haut ‘je regrette ce que j’ai fait’. Mais la justice n’est pas dupe. Face à un juge ou à des membres d’un jury d’assises, ce type de stratégie peut faire pire que mieux si un accusé fait des aveux qui pourraient s’avérer faux. »
C’est justement ce qui risque d’arriver à Y.A., jugé aux assises de Bruxelles pour la mort de Frank Goes. Car le jeune homme, qui pour rappel est passé aux aveux lors de l’audience du 4 octobre, a déjà changé de versions à de multiples reprises depuis l’ouverture du procès, ce lundi.