OL-ASSE : « C’est presque poétique »… Comment le chant lyonnais « Emmenez-moi » est devenu le symbole ultime du derby
Pour son retour après quasiment trois ans d’absence, le derby OL-ASSE sera-t-il ce dimanche (20h45) le premier match de l’histoire de la Ligue 1 n’allant pas à son terme en raison de chants homophobes dans les tribunes du Parc OL ? Vu le gegenpressing des ministres Bruno Retailleau et Gil Avérous contre la LFP en raison de la non-interruption depuis trois semaines de PSG-Strasbourg et de ASSE-Strasbourg, l’arbitre Willy Delajod sera en tout cas à l’affût +++ de ce type d’incident.
Et si les supporteurs des Verts sont comme d’habitude interdits de déplacement pour ce derby (ils n’ont jamais pu se rendre à Décines depuis l’inauguration du stade en 2016), l’animosité entre les deux grands rivaux rhônalpins pourrait pousser les virages lyonnais à lancer, comme souvent, le problématique chant « Les Stéphanois, c’est des p…. ».
Un chant né juste avant le septuplé lyonnais en Ligue 1
Selon nos informations, la direction de l’OL a d’ailleurs sensibilisé ces derniers jours les groupes de supporteurs sur cet épineux sujet, consciente que ce choc diffusé en prime time sur DAZN pourrait servir d’exemple. Ceci dit, le chant lyonnais (et anti-Stéphanois) le plus emblématique ne peut pas être considéré comme homophobe. Alors que le biopic Monsieur Aznavour cartonne au box-office, l’air d’Emmenez-moi va résonner encore davantage au Parc OL ce dimanche que tout l’été sur les différents sites des JO de Paris 2024.
Mais avec des paroles adaptées au derby : « Emmenez-moi à Geoffroy-Guichard, emmenez-moi au pays des bâtards. Il me semble que la misère serait d’être supporteur des Verts ». Les paroles de ce chant ont été inventées en 2001 par deux habitués du virage sud de Gerland. On avait 20 ans, on caressait le temps et l’OL allait s’offrir un incroyable septuplé (de 2002 à 2008), tandis que l’ASSE végétait en Ligue 2, avant sa remontée dans l’élite en 2004.
« Ça n’est pas insultant, bon à part « bâtards », OK… »
« C’est devenu une tradition de balancer Emmenez-moi à la 42e minute de jeu [numéro du département de la Loire], explique Jean-Pierre, abonné au virage nord depuis vingt-cinq ans. Au départ, c’était pour faire monter la sauce quand le derby se rapprochait. Et puis on la chante quasiment à chaque match désormais. »
« Même si le derby s’est aseptisé sur de nombreux points, on veut rappeler aux »Stephs » à quel point on ne les aime pas, quel que soit notre adversaire du soir, complète Richard du virage sud. On n’a jamais cherché à inventer un chant anti-Marseillais. Notre seule véritable rivalité, c’est avec Saint-Etienne. »
Et les supporteurs lyonnais sont sacrément fiers du rendu de leur Emmenez-moi, et de la place qu’il occupe désormais dans la culture des tribunes françaises. Du côté de la Beaujoire, la Brigade Loire l’a ainsi parfois repris pour des matchs entre le FC Nantes et l’ASSE.
« L’air de « Emmenez-moi » est mythique, tout le monde le connaît. Et là, les paroles collent pile poil. Saint-Etienne, c’est les Verts et rien d’autre, là où il y a un immense patrimoine à Lyon. Mais c’est gentillet, c’est même presque poétique. Et puis ça n’est pas insultant, bon à part « bâtards », OK… »
Une polémique avec Lacazette et Aulas à la baguette
Alors justement, comment est perçu ce chant depuis plus de vingt piges, à 60 km au sud-ouest de Lyon ? « On ne va pas dire que la chanson a été bien vécue à Sainté, mais elle est avant tout sarcastique, estime Luc (40 ans), qui tient le compte ASSE Memories sur Twitter/X. Et puis l’insulte n’est pas incroyablement forte, hormis les mots « misère » et « bâtards » qui sont connotés. C’est loin d’être la pire infamie dans l’histoire du derby en tout cas. »
Sachez que ce Emmenez-moi lyonnais compte carrément trois longs couplets trouvables sur YouTube, mais jamais chantés au stade. Si certains termes homophobes sont cette fois de la partie, on vous laisse apprécier cette punchline : « Moi qui ai connu Platini dans les années d’or, maintenant on a Antonetti et on gobe les morts ».
En 2012, le chant a tout de même droit à sa vive polémique. Car huit joueurs de l’OL sont filmés en train de le scander au balcon de l’Hôtel de Ville, devant des milliers de supporteurs, après avoir remporté la Coupe de France. Parmi eux, on retrouve les purs produits du centre de formation de l’OL Lacazette, Lopes, Umtiti, Gonalons et Grenier, tous sanctionnés par le Conseil national de l’éthique (CNE) d’un match de suspension avec sursis et de 5.000 euros d’amende.
« Le Larousse fera foi », osait JMA face à Caïazzo
« Là, ça a été mal vécu car ça sortait du chambrage entre supporteurs, précise Luc d’ASSE Memories. On était sur un contexte hors-derby, donc après cet épisode, la génération Lacazette et compagnie a été particulièrement détestée à Saint-Etienne. Et puis Jean-Michel Aulas avait en plus tenté de défendre la signification du mot « bâtard »… »
Car oui, parmi les séquences cultes des 36 ans de lyonnaise foi de JMA à la tête de l’OL, il y a cet échange de mai 2012 sur RMC Sport face à son homologue stéphanois Bernard Caïazzo : « Si on fait l’exégèse du couplet : « bâtard », dans le dictionnaire, est un enfant issu d’un couple non marié. Il n’y a pas eu d’insulte, simplement une joie excessive. Le Larousse fera foi devant les gens qui se sentent émus ».
Un chant dans la foulée d’une violente banderole
Le terme « bâtard » de ce chant trouve plus tard un écho dans plusieurs banderoles insultantes déployées par des supporteurs lyonnais dans l’histoire du derby, comme le « Arrêtez de vous reproduire en famille » sorti dans le Chaudron en 2017. Pourtant, il fut un temps où le folklore était bien plus soft entre les deux camps ennemis.
« Dans les années 1990, il y avait plutôt une bataille de tifos que de chants entre les deux clubs, et elle restait uniquement dans le cadre du football, se souvient Luc d’ASSE Memories. Et puis il y a eu la banderole des Lugdunum en 2000 qui a déplacé la rivalité sur le terrain social, avec la grande ville face à la pauvreté stéphanoise. Cette banderole a été perçue comme une insulte très forte à Saint-Etienne, et elle a laissé beaucoup d’amertume pendant de longues années. »
Les ultras stéphanois ont vite riposté avec un chant
Et pour cause, huit ans avant l’immense polémique autour de la banderole anti-Ch’tis pour PSG-Lens, la violence des mots était tout aussi présente, le 6 septembre 2000 dans le parcage visiteur de Geoffroy-Guichard : « Les Gones inventaient le cinéma… quand vos pères crevaient dans les mines ». Si l’ASSE a longtemps renvoyé son cher voisin à son maigre palmarès et au supposé manque de ferveur de son public, des banderoles « Mort à Lyon » et « La chasse est ouverte, tuez-les » sont apparues dans les années 2000. De même qu’un chant en réponse directe au Emmenez-moi lyonnais.
Notre dossier sur le derby
Sur l’air (un peu moins noble qu’Aznavour) de Elle descend de la montagne, le propos témoigne de la violence grandissante dans la relation entre les ultras des deux clubs : « Et si un jour, je meurs à Gerland, il y aura dix bâtards rouges et bleu morts à mes pieds ». On est en effet ici très loin d’un gentillet Le Lion est mort ce soir parfois chanté à Geoffroy-Guichard dans les années 1990. Et face à cette escalade de provocations, la 42e minute du derby OL-ASSE de ce dimanche sera scrutée comme jamais en France, y compris à la tête de l’Etat.