Vendée Globe : « Quand ça tape, tu n’as pas forcément envie de manger »… Comment la micronutrition s’est invitée à bord
Ça manque de feu de cheminée, de brindilles qui crépitent, d’un joli manteau blanc qui entoure le petit chalet en Laponie éclairé par de sublimes aurores boréales. Malgré tout, on préfère quand même fêter Noël dans notre petit appartement parisien, au chaud entouré de la famille, que seul sur un bateau s’apprêtant à passer le Cap Horn, le tout après un mois et demi de course déjà éreintant. Pendant qu’on se régalera de toasts au saumon fumé, de chapon et de bûche glacée, les skippeurs du Vendée Globe devront, eux, se contenter du minimum.
« Je prendrai quand même un petit coup de rouge, en rigole Louis Burton (Bureau Vallée). Pareil pour le Nouvel An. » Pas beaucoup plus. Il faut dire que la flotte ne va pas embarquer pléthore de victuailles pour une seule date, aussi festive soit elle, alors que tout est calculé au gramme près, ou presque, pour ne pas alourdir trop le bateau. « Le poids, c’est pénalisant, assure Yoann Richomme (Paprec-Arkéa) Il faut juste trouver un équilibre entre la nourriture de confort et « le basique ». Moi, j’ai pris 50 % de plats préparés appertisés, 50 % de plats lyophilisés [qui pèsent moins]. »
« Le fromage répond super bien »
« L’équilibre », le mot revient souvent dans la bouche de Virginie Auffret, diététicienne nutritionniste qui s’occupe de plusieurs skippeurs sur ce Vendée Globe, dont Samantha Davies (Initiatives Cœur). La Britannique embarque elle aussi du lyophilisé, de l’appertisé (conserves, bocaux, etc.), du déshydraté, avec quelques petits plaisirs, quand même. En 2021, elle avait ainsi pris des M & Ms, des riz au lait, du beurre de cacahuète et quantité de fromages, comme de l’Etorki, du Beaufort, du Comté…
« C’est un produit qui est assez énergétique, qui se conserve très bien qui apporte aussi des bactéries, qui vont entretenir nos intestins, justifie Virginie Auffret. En nutrition, on doit toujours faire attention à entretenir notre microbiote intestinal et le fromage permet cela. Il a des atouts et pour un navigateur, sur un sport d’endurance comme ça avec un apport énergétique à essayer de combler, le fromage répond super bien. »
Surtout, le fromage a l’avantage de pouvoir être dévoré dans n’importe quelle partie du monde. Ce n’est pas le cas de tous les aliments. « En fonction du climat dans lequel tu es, ton corps n’a pas les mêmes besoins, explique Louis Burton. Si tu es en climat tropical, tu vas suer, donc il faut que tu t’hydrates plus, donc que tu manges des aliments qui vont favoriser l’hydratation et l’assimilation de l’eau. Quand tu es en climat polaire, la résistance au froid et à l’humidité est consommatrice de calories, donc il faut que tu manges plus que quand tu es en climat tempéré. »
« C’est moins facile de cuisiner »
Alors que peut-on déguster en fonction de la zone géographique où l’on se trouve ? Une soupe quand il fait froid et un taboulé/saucisses quand il fait chaud ? Un peu réducteur.
« Dans les mers du Sud, on doit charger en énergie, il faut rajouter du gras, de l’huile, pour optimiser la dépense énergétique, indique la nutritionniste. En zone très chaude, on va insister sur l’hydratation, sur les micronutriments, pour optimiser l’hydratation alors que l’apport énergétique ne va pas être super différent d’une zone tempérée. » A l’image du cyclisme ou de la natation en eau libre avec la caféine, la micronutrition est également passée dans une nouvelle dimension dans la voile ces dernières années.
Elle permet notamment, de manière assez « simple », de combler les pertes de vitamines, d’améliorer la performance ou même de réduire la fatigue. Et autant dire que sur le Vendée Globe, la fatigue… Le développement de cette pratique, qui nous a été confirmée par plusieurs skippeurs, s’est accentué notamment « à cause » des avancées technologiques des Imoca, comme le détaille Louis Burton, et de la volonté d’aller toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus fort :
« Comme ces bateaux vont de plus en plus vite, sont de plus en plus violents, on a de moins en moins de facilité à cuisiner. Donc les systèmes pour chauffer l’eau se sont améliorés, sont plus tout terrain, on peut plus facilement s’en servir. Mais quand ça tape, ça tape, tu as moins envie de manger. On a donc depuis quelques années la micronutrition qui arrive un peu plus dans l’environnement alimentaire du bord, donc avec des compléments. »
Ne pas sous-estimer les apports
Cela permet aussi de « nourrir » le skippeur, même si ce dernier n’en ressent pas le besoin. En naviguant quelques heures avec Samantha Davies à bord d’Initiatives Cœur, elle nous avouait qu’il y avait des jours sur le Vendée où elle n’avait « aucune dépense calorique, car je reste sur mon siège ». Balance que nous sommes, on a évoqué ses propos à Virginie Auffret, qui a tout de suite tenu à tempérer la chose.
« Souvent, les navigateurs ont tendance à sous-estimer leurs apports donc là, typiquement, Sam elle dit ne pas avoir trop besoin, mais en fait si, elle a besoin quoi qu’il en soit. Déjà, elle a son énergie vitale, et puis quand on est en mer on a des dépenses supplémentaires, ne serait-ce que pour gérer l’équilibre. Même si, en tant que sportive, elle se dit, « bah oui mais là je n’ai pas fait de sport vraiment intense, je n’ai pas besoin de manger autant de calories », il ne faut pas sous-estimer ses apports. »
D’où l’importance de la micronutrition. « Ça va être certains antioxydants, certaines vitamines, certains minéraux aussi, parce qu’à un moment donné ils n’ont plus trop de fruits, de légumes frais, et il faut compenser, conclut Virginie Auffret. Par exemple, elle va prendre de la spiruline, ou de la protéine, selon les manœuvres qu’elle va faire. » Bon, ça ne remplacera jamais un bon porridge bien britannique, mais ça permet quand même au corps de reprendre du poil de la bête.