Vendée Globe: « A dans trois heures ou à dans trois mois »… Comment les skippers remplaçants gèrent-ils l’avant course ?
Il a bien fallu brûler de la sauge, réaliser quelques invocations et faire venir le meilleur sorcier des Sables-d’Olonne avant d’en parler. Un peu comme susurrer Celui dont on ne doit pas prononcer le nom dans « Harry Potter », aborder le thème des skippeurs remplaçants à quelques jours du départ du Vendée Globe peut vous faire passer pour un porte-poisse très rapidement. Et certaines équipes ont préféré décliner poliment notre invitation plutôt que risquer que leur marin ne glisse sur une peau de banane en montant sur son Imoca.
Pourtant, dans l’histoire de la course, jamais un titulaire ne s’est retrouvé les deux pieds sur la terre ferme au moment où tous ses petits copains partaient faire le tour du monde sans escale et sans assistance. Et tous les skippeurs interrogés ont bien rappelé cette statistique, histoire de faire fuir les derniers démons qui rôdaient. « Je pense que le fait que ça ne soit pas encore arrivé, ça rassure beaucoup de monde », assure même Simon Koster.
Le Suisse est le remplaçant attitré de son compatriote Alan Roura (Hublot) et il espère, évidemment, que rien de grave n’arrivera au titulaire d’ici au départ. Mais il se doit de se tenir prêt. Au cas où. « Je me mets dans la tête que c’est possible que ça arrive, explique Franck Cammas, remplaçant de Jérémie Beyou (Charal 2). Malheureusement, ce n’est pas la meilleure façon de préparer une course, et d’être performant, ça, il ne faut pas se le cacher. Ce qu’il faut, c’est juste être capable physiquement et techniquement de partir. »
« Il connaît le bateau par cœur »
Comme tous ses congénères sur le banc, Cammas, qui sort à peine de son projet de responsable de la performance du défi français Orient Express Racing Team pour la Coupe de l’América, a dû suivre les mêmes formations médicales, les mêmes check-up médicaux, les mêmes briefings et entraînements de sécurité. En plus d’apprendre à connaître le bateau presque par cœur.
« J’étais autour de la table dès le début pour le dessin de ce bateau, donc forcément ça m’a permis de bien le connaître, reprend Cammas. J’ai beaucoup navigué avec l’année dernière. Je suis les navigations de Jérémie, à travers les courses qu’il fait, les rapports de performance réalisés, parce que si jamais je me retrouve sur le bateau, il ne va pas falloir que je mette trop longtemps à trouver les manettes. »
Alan Roura et Simon Koster ont, de leur côté, passé énormément de temps ensemble. « On a fait toute l’année dernière et cette année ensemble, raconte Roura. Il connaît le bateau par cœur. On a plus travaillé en binôme qu’avec un titulaire et un remplaçant. Ce qui m’importait, c’était que Simon partage son expérience et moi la mienne pour qu’on grandisse ensemble sur le bateau. Il a l’intégralité du bateau en main, tous les réglages, chaque voile. Beaucoup de décisions ont été prises ensemble pour que ça soit plus simple au cas où. » Et le remplaçant accompagne encore le titulaire sur tous les briefings de départ, les prépas météo, la stratégie globale de la course…
Des adapations sur le bateau et dans la nourriture
Pour Samantha Davies (Initiatives cœur), le travail de collaboration a été également fait avec Jack Boutell, mais à un degré moindre, l’Australien n’ayant un contrat qu’à mi-temps. « On a fait la Jacques-Vabre ensemble [comme Cammas-Beyou et Roura-Koster] et à la fin, elle m’a demandé d’être skipper remplaçant, estime Boutell. C’est la meilleure façon d’apprendre, parce que je n’ai pas le stress. Evidemment, si Sam, pour une raison ou une autre, ne peut pas partir, il faut que je sois prêt. J’ai quand même fait tous les entraînements sur le bateau pendant l’année, toutes les préparations techniques. Je le connais assez bien, même si je ne suis pas à plein temps. »
En cas de pépin, presque tout a été prévu par l’équipe de Samantha Davies. Le siège fait sur mesure spécialement pour la Britannique sera remplacé par sa première version, qui convient mieux à Jack Boutell. Et l’avitaillement sera complété par un repas de plus par journée, car le bonhomme mange un peu plus que sa partenaire. La nourriture ne sera pas un problème pour Franck Cammas. Même chose pour Simon Koster, qui effectuera quand même un petit changement : « Je pense que j’enlèverai le café à bord, je mettrai du chocolat à la place et on ne sera pas si mal. » Le reste sera de l’adaptation pour tout ce beau monde.
Allez, salut tout le monde
Reste à gérer le côté émotionnel d’un possible départ de dernière minute et l’annonce faite aux proches. Tous les skippers interrogés nous ont expliqué en avoir déjà discuté avec leur famille et chacun le gère d’une manière différente. « C’est quelque chose de compliqué, reconnaît Jack Boutell. Avec ma femme, on prend ça un peu comme un trophée Jules-Verne, où tu n’as pas une date de départ fixe, ça dépend de la météo. J’ai déjà fait trois tentatives et on ne sait pas quand on va partir. On reste un peu avec l’idée dans la tête que ça part, mais ce n’est pas sûr, et on ne sait pas quand. »
Si besoin, Jack Boutell pourra toujours demander conseil à Davy Beaudart qui, sur la précédente édition du Vendée Globe, a failli prendre le départ alors que des doutes sur la santé de Louis Burton fleurissaient. « J’ai eu un soupçon de Covid la veille du départ, et on avait une batterie de test à faire jusqu’à deux heures avant le départ pour être sûr que l’organisateur n’envoie pas un skipper covidé en mer, nous raconte Burton. Davy est donc monté avec son sac sur le bateau, prêt à partir et puis il a dit à sa femme « A dans trois heures ou à dans trois mois ». » Heureusement, le test a été négatif et le skipper de Bureau-Vallée a pu prendre le départ. Et a ainsi peut-être sauvé un mariage.
Que ça soit Franck Cammas, Simon Koster ou Jack Boutell, tous ont désormais un rêve, à la manière d’un Bradley Barcola au PSG : passer de remplaçant sans énorme temps de jeu à titulaire indiscutable. « C’est un projet que j’ai pour le futur, indique Franck Cammas. Si je faisais un Vendée Globe, j’aimerais vraiment être dans la même situation que Jérémie, avec un très bon bateau. C’est une bonne référence, c’est sûr que ça donne envie d’être dans ce rôle-là. » En attendant, on va tout faire pour tenir éloignées les forces du mal du port des Sables d’Olonne.