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Élection américaine 2024 : Pourquoi les États-Unis ne sont pas prêts à élire une femme comme présidente ?

Lors de sa campagne express, Kamala Harris l’avait assuré : les électeurs et électrices des États-Unis étaient « absolument prêts à élire et être dirigés par une femme et une femme de couleur ». Les résultats lui ont donné tort. Comme en 2016, la population américaine a choisi – en majorité – le candidat des Républicains, Donald Trump, pour être le 47e président de leur pays.

Pour la deuxième fois en huit ans donc, une femme candidate à la Maison-Blanche n’a pas réussi à « briser le plus haut, le plus difficile des plafonds de verre », comme le qualifiait Hillary Clinton. Et pour la deuxième fois, face au même candidat misogyne, qui avait pourtant été battu par Joe Biden en 2020.

Alors, pourquoi les États-Unis ne sont-ils toujours pas prêts à élire une femme comme présidente ? Décryptage avec Alexis Pichard, enseignant en civilisation étasunienne, chercheur politique et médias des Etats-Unis à l’université Paris Nanterre, et Esther Cyna, maîtresse de conférences en histoire des Etats-Unis, à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

Les candidates ont échoué là où « un homme blanc âgé a réussi »

« Quand on regarde les dernières élections, c’est indéniable. Hillary Clinton et Kamala Harris ont échoué là où un homme blanc âgé, Joe Biden, a réussi », lance Esther Cyna. Comme elle le souligne, les trois candidats sont « très comparables » d’un point de vue de leur politique, de leurs positionnements ou même de leurs rhétoriques. « Ce sont des candidats assez « classiques » du parti démocrate contemporain : centristes, libéraux économiquement mais assez ouverts à des questions sociales. »

Pour cette spécialiste, le genre des candidates est d’ailleurs « sous-estimé » dans les analyses à la suite des résultats de l’élection. « Je pense que, consciemment ou non, une grande partie de l’électorat a la croyance qu’un homme est plus qualifié et plus compétent à diriger le pays », souligne-t-elle rappelant « le nombre incalculable d’exemples qui ont montré que Trump n’était pas apte à gouverner la première puissance mondiale ».

Un plafond de verre « impossible à briser »

Le « plus haut et le plus difficile des plafonds de verre » reste donc « impossible à briser », reconnaît Esther Cyna. « Kamala Harris en avait déjà cassé un premier en devenant vice-présidente mais celui de la présidence semble intouchable, observe-t-elle. On repense à la soirée électorale d’Hillary Clinton qui avait prévu un vrai plafond de verre qui allait être brisé en cas de victoire… et qui est toujours intact, au sens propre et figuré. »

Pourtant, les deux candidates démocrates n’ont pas utilisé la même stratégie. « Autant Hillary Clinton avait fait campagne sur le genre, en disant qu’elle serait la première femme élue en insistant sur l’enjeu symbolique et historique, souligne Alexis Pichard. Autant Kamala Harris n’en a pas du tout joué. Elle a tenté de passer outre et de vendre quelque chose d’autre et de capitaliser sur son expérience. »

Le chercheur ajoute : « Le seul qui a mené une campagne raciste et genriste, c’est Donald Trump. Il a ramené sans cesse Kamala Harris à son genre, – une « femme bête », « un QI de moineau », en l’essentialisant, assurant qu’une femme était « incapable de diriger la première puissance du monde ». Et il l’a aussi souvent ramenée à sa couleur de peau. C’est lui qui a mis ses marqueurs identitaires en avant pour mobiliser son électorat, qui est, en majorité, misogynie, xénophobe et raciste. »

Un point que déplore la maîtresse de conférences en histoire des États-Unis. « Certes, dans l’électorat de Trump, il y a un groupe masculiniste représenté notamment par Elon Musk ou Andrew Tate. Mais ce qu’il faut souligner, c’est que toutes les attaques sexistes et racistes du candidat n’ont pas dérangé. En tout cas, elles n’ont pas suffi à questionner l’électorat sur sa légitimité, sa moralité, sa compétence à gouverner. Pour une majorité d’Américains et d’Américaines – car il a remporté le vote populaire –, ça ne pose pas problème de tenir des discours aussi misogynes pour être président. C’était déjà choquant en 2016 mais cette fois, la violence des attaques contre Kamala Harris, et contre les femmes en général, était assez inédite. »

Une femme, comme un homme, doit avoir un programme

Mais la défaite de Kamala Harris n’est « évidemment pas due qu’à son genre ou sa couleur de peau », s’exclame Esther Cyna. « C’est parce qu’elle n’avait tout simplement pas une offre politique assez élaborée », appuie Alexis Pichard.

Avant de développer : « C’est vraiment le parti démocrate qui n’a pas réussi à mobiliser son électorat. Ce dernier a fait la grève parce que l’offre du parti ne correspondait pas à ses attentes. Les personnes interrogées sur leurs intentions de vote le disaient en toute transparence : la question du genre du ou de la candidate arrivait bien après les inquiétudes de ce qu’ils pouvaient leur rester pour se nourrir à la fin du mois. » Finalement, « les femmes politiques sont « des hommes comme les autres », elles doivent avoir un programme », conclut-il.

En 2028, les démocrates ne choisiront pas une femme

Malgré tout, d’après les résultats des votes, de nombreux Américains – surtout des Américaines – sont « prêts à avoir une présidente », affirme Esther Cyna qui a pu observer que c’étaient les femmes diplômées qui votaient le plus pour les démocrates, et 91 % des femmes noires ont voté pour Kamala Harris. Alexis Pichard note d’ailleurs que la candidate a davantage réussi à mobiliser qu’Hillary Clinton. Il enchaîne : « Déjà en 2016, une large majorité était prête car la candidate avait remporté le suffrage populaire. C’est uniquement parce que le système électoral repose sur les grands électeurs qu’elle n’avait pas accédé à la présidence. »

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Peut-on alors avoir un jour une candidate démocrate à la tête de la première puissance mondiale ? Peut-être. Mais pas dans quatre ans, selon Esther Cyna. Elle doute que les démocrates retentent le pari de proposer une femme pour la course à la Maison-Blanche.