Eat’s OK, une appli pour éviter les mauvaises interactions entre médicaments et aliments
«Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? » Cette question, nous sommes beaucoup à nous la poser chaque jour en regardant le contenu de notre frigo. Mais pour beaucoup, la question se complique un peu plus quand on doit prendre des médicaments. Quel rapport ? Que ce soit pour un souci de santé passager ou une maladie chronique, nombreux sont celles et ceux qui suivent un traitement médicamenteux prescrit par leur médecin traitant ou un spécialiste. Pour connaître la posologie, il suffit de suivre les consignes inscrites sur l’ordonnance : « un comprimé chaque soir au cours du repas », par exemple.
Mais au-delà de ces indications basiques, y a-t-il d’autres informations à connaître pour prendre correctement et sans danger son traitement ? Le contenu de notre assiette peut-il influer sur l’efficacité de nos médicaments ? Oui, et c’est là que l’appli Eat’s OK, lancée ces dernières semaines, peut aider, en proposant un accompagnement permettant d’éviter les interactions entre les médicaments et l’alimentation.
Vigilance face à de nombreux aliments
Qu’est-ce qu’une interaction liée aux médicaments ? « Il y a interaction lorsqu’un ou plusieurs effets d’un médicament sont modifiés par un autre produit, répond l’Assurance maladie. Cela peut être un autre médicament pris dans le cadre d’un même traitement, on parle alors d’interaction médicamenteuse. Cette interaction peut aussi survenir avec un aliment, une boisson, un complément alimentaire, ou la consommation de tabac ».
Un phénomène qui peut causer trois types d’effets : « Une diminution de l’action du médicament. Le produit en cause entrave son absorption ou son action dans l’organisme, voire augmente son élimination. Par exemple, le thé vert empêche l’organisme d’absorber correctement le fer par voie orale. Il diminue donc l’efficacité des traitements à base de fer, qui peuvent être prescrits notamment lors de la grossesse ou contre certaines anémies, précise l’Assurance maladie. Cela peut aussi causer une augmentation de l’action du médicament : le produit en cause empêche sa dégradation par l’organisme, ou son élimination. Cela conduit à des risques de surdosage et de toxicité.
Par exemple, le curcuma, utilisé comme épice ou colorant alimentaire, peut augmenter l’action des antidiabétiques pris par voie orale, et provoquer un risque d’hypoglycémie. Ou encore une augmentation de certains effets indésirables du médicament. Ces interactions ne sont pas faciles à prévoir car il est très difficile de tester tous les cas possibles entre tous les médicaments, les aliments ou boissons et le tabac ».
Un phénomène qui a attiré l’attention de Grégory Guilbert, docteur en pharmacie, fondateur de la société Pharmacodietetics et créateur de l’appli Eat’s OK. Après une carrière dans la communication et le marketing, il reprend ses études à 36 ans pour devenir pharmacien. « Et en deuxième année, lors de nos cours de pharmacologie, on nous a parlé des interactions entre médicaments et aliments, par exemple du pamplemousse ». En consommer peut augmenter « la fréquence et la gravité des effets indésirables de certains médicaments » contre le cholestérol, des immunosuppresseurs, des antiarythmiques, un antidépresseur, ou encore le docétaxel (Taxotère), utilisé dans le cancer du sein, confirme l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
« Accompagner les patients au quotidien »
A l’époque, pour l’étudiant pharmacien, c’est « le déclic. Je me suis dit qu’en tant que patient consommateur occasionnel de médicaments, ces informations-là, on ne les avait pas toujours. C’est comme cela qu’est née l’idée d’Eat’s OK, pour proposer une solution qui réponde à ce besoin et pour le plus grand nombre. En fonction de leurs pathologies et de leur traitement, beaucoup de patients ne savent plus quoi se faire à manger, c’est une préoccupation du quotidien, relève Grégory Guilbert. Et il n’est pas toujours facile pour eux de s’y retrouver : à ce jour, plus de 65.000 médicaments sont répertoriés et pour chacun, il y a entre 0 et 18 recommandations alimentaires. Or, proposer des mesures diététiques adaptées aux traitements fait partie aussi de la prise en charge des maladies chroniques, de mieux informer et accompagner les patients au quotidien », plaide-t-il. Après douze ans de maturation et de travail, l’appli a été lancée mi-septembre.
En pratique, « le patient crée son compte, renseigne son profil : âge, taille, sexe et poids, pour que l’on puisse cibler précisément ses besoins nutritionnels, indique Grégory Guilbert. Puis il scanne ses boîtes de médicaments, renseigne la posologie prescrite, donc à quelle heure et combien de médicaments il doit prendre. A partir de là, nous, on lui propose des recettes adaptées à son traitement et ses éventuelles allergies, et on lui donne aussi des indications sur les aliments à éviter et ceux à privilégier. Des recettes variées établies par notre diététicienne en partenariat avec des chefs, techniques pour les personnes qui aiment cuisiner, ou très simples à faire en cinq minutes ».
Et comme le fonctionnement de l’appli est basé sur les médicaments prescrits, les patients polypathologiques peuvent aussi être conseillés. Ainsi, un patient, traité par exemple pour un diabète de type 2 et une hypertension artérielle, deux maladies chroniques très répandues, se verra proposer « des recettes plutôt faibles en glucides, pour éviter une hyperglycémie, et, s’il prend un médicament diurétique entraînant une élimination importante du potassium, enrichies en aliments qui en ont une teneur élevée, telles que les légumineuses ».
Renforcer l’observance thérapeutique
Autre fonctionnalité proposée par l’appli, et « qui est importante, c’est le rappel de prise de médicaments », souligne son créateur. Un détail loin d’être anecdotique puisque « pour certaines pathologies, certains aliments sont incompatibles avec les traitements. En cas de maladie de Parkinson, le traitement doit ainsi être pris à distance des protéines. Donc si le patient doit prendre son médicament à 18 heures par exemple, il recevra une première notification pour lui indiquer de ne pas manger de protéines, puis une autre à 18 heures pour lui rappeler de prendre son médicament, et une dernière à 20 heures pour lui préciser qu’il peut de nouveau en manger ».
De cette manière, « on s’assure que la personne n’oublie pas son traitement, et qu’elle ne consomme pas d’aliments susceptibles d’en affecter l’efficacité, se félicite Grégory Guilbert. Cela permet de renforcer l’observance thérapeutique ». Une problématique de santé publique majeure, puisque selon une publication IMS Health citée par l’Assurance maladie, « 60 % des patients en maladie chronique ne respectent pas correctement leurs traitements. L’étude indique que 25 % des médicaments prescrits ne seraient pas pris par les patients, une négligence très fréquente chez les personnes atteintes d’une maladie où le risque est mortel, conduisant ainsi chaque année à 12.000 décès et 100.000 hospitalisations » en France.
Du simple oubli à la crainte des effets secondaires, en passant par l’impression d’être guéri avant la fin du traitement, la lassitude et le coût élevé du médicament, les raisons sont multiples, « mais on peut agir, assure Grégory Guilbert, et on espère changer la donne ».