”J’ai sacrifié mon mandat pour mener le combat contre les violences sexistes et sexuelles en politique”
Il y a deux ans et demi, l’échevine à la Culture à Schaerbeek, Sihame Haddioui (Écolo), a déposé une plainte contre un autre échevin, inculpé depuis lors pour agressions sexuelles. Avant son retrait de la vie politique, elle veut faire adopter une charte permettant aux élus d’être mieux protégés. Et souhaite créer un observatoire des violences sexistes et sexuelles.
- Publié le 24-10-2024 à 06h33
En mai 2022, Sihame Haddioui (Écolo), échevine à la Culture à Schaerbeek, portait plainte pour attentat à la pudeur contre Michel De Herde, alors échevin du Budget et de l’Instruction publique dans la même commune sous l’étiquette Défi (il a été suspendu du parti depuis). D’autres faits sont ensuite mis au jour et, en février 2023, l’homme politique, échevin depuis près de 30 ans, est officiellement inculpé de viol sur mineur de moins de 16 ans, mineur de plus de 16 ans et détention d’images pédopornographiques. Ce 22 octobre, la chambre du conseil devait statuer sur un renvoi devant un tribunal correctionnel, mais la défense de l’ex-figure politique schaerbeekoise a demandé des devoirs complémentaires, ce qui reporte l’échéance.
Plus de deux ans et demi après l’éclatement de l’affaire, Sihame Haddioui s’apprête, elle, à quitter la vie politique. « Je suis encore fort en colère. Et la colère n’est pas toujours un bon moteur pour faire de la politique« , explique la jeune femme.
Avec une certaine rancœur à l’égard du monde politique et d’Écolo en particulier ? « Je n’en veux pas aux individus, mais je me pose beaucoup de questions sur le fonctionnement des partis politiques, répond-elle. C’est clair que je ressens une grande déception politique, particulièrement à l’égard d’Écolo qui se veut être le chantre du féminisme, mais qui, selon moi, ne s’est pas assez saisi de la question alors qu’il était en majorité au gouvernement. » Et Sihame Haddioui de nuancer ses propos : « Quand on s’intéresse à ce combat, on constate assez vite que l’inaction n’est pas propre à un parti. C’est vraiment l’ensemble de l’appareil politique qui doit, selon moi, se remettre en question. »
Et depuis le jour où cette fameuse plainte a été déposée, la remise en question a-t-elle eu lieu ? « Oui, mais pas assez. »
guillement « C’est clair que je ressens une grande déception politique, particulièrement à l’égard d’Écolo qui se veut être le chantre du féminisme, mais qui, selon moi, ne s’est pas assez saisi de la question alors qu’il était en majorité au gouvernement. Mais quand on s’intéresse à ce combat, on constate assez vite que l’inaction n’est pas propre à un parti. C’est vraiment l’ensemble de l’appareil politique qui doit, selon moi, se remettre en question. »
Une vigilance « autrefois inexistante »
« Ce qui a changé, c’est que quand on en parle violences sexistes et sexuelles en politique, ça percole, poursuit la jeune femme. Avant d’être moi-même confrontée à la chose, je pensais que nous étions protégées. Jamais je n’avais imaginé qu’un ou une élu(e) victime ou témoin d’agressions sexuelles avait un statut qui ne lui permettait pas grand-chose. C’était un impensé. Le changement majeur, c’est qu’aujourd’hui, on en parle. Pas assez, mais il y a une forme de vigilance qui était inexistante au moment où moi, j’ai vécu tout ça. »
Sihame Haddioui a conscience que le changement évoqué est bien maigrichon face à l’ampleur du phénomène que sont les violences sexuelles. « C’est la raison pour laquelle il y a, aussi, beaucoup de mécontentement, explique-t-elle. J’ai sacrifié ma carrière politique pour mener ce combat. J’aurais souhaité que mon histoire soit réglée sans en arriver à une plainte et à la médiatisation de l’affaire. Il est malheureux de constater qu’il n’y a que cela qui a pu faire avancer la machine. »
guillement « Tout ce qu’on récolte après, c’est un peu la double peine pour une victime, parce qu’on considère encore trop souvent que la démarche n’est jamais désintéressée. Pour caricaturer, si les femmes en politique s’expriment, c’est soit parce qu’elles sont sous l’influence d’un leader – souvent masculin –, soit parce qu’on considère que ce sont des hystériques. Cette piètre image n’a pas disparu, et c’est sans doute pour cela que nous ne sommes pas suffisamment entendues. »
Elle poursuit : « Tout ce qu’on récolte après, c’est un peu la double peine pour une victime, parce qu’on considère encore trop souvent que la démarche n’est jamais désintéressée. Pour caricaturer, si les femmes en politique s’expriment, c’est soit parce qu’elles sont sous l’influence d’un leader, souvent masculin, soit parce qu’on considère que ce sont des hystériques. Cette piètre image n’a pas disparu, et c’est sans doute pour cela que nous ne sommes pas suffisamment entendues, déplore-t-elle. Moi, je ne voulais la peau de personne et je ne demandais rien à part qu’une enquête, juste et impartiale, soit menée. »
Une charte et un observatoire
Sihame Haddioui quitte la politique, mais n’abandonne pas pour autant son combat. Premier objectif : l’adoption d’une charte dans la commune de Schaerbeek – une charte qui pourrait être calquée dans d’autres communes et permettant aux élu(e) s victimes ou témoins de violences sexuelles de bénéficier de l’écoute d’une personne de contact. « Je souhaite que les personnes concernées ne soient plus démunies comme je l’ai été, moi ainsi que mes collègues du Collège. Qu’elles puissent avoir un référent – idéalement le secrétaire communal, qui n’est lié à aucun parti – vers qui se tourner. Que nous puissions déterminer une marche à suivre. Bref, je souhaite combler le vide juridique actuel et ne plus faire vivre à d’autres ce que moi j’ai vécu ».
La charte doit être votée lors du dernier conseil communal de Sihame Haddioui, le 20 novembre. « Une fois partie, je n’exclus pas de créer un observatoire des violences sexistes et sexuelles. il y a un travail politique à mener sur ces questions dans les différents niveaux de pouvoirs. Il faut expliquer et convaincre ».
Dur de porter plainte
Avant de conclure l’entretien, nous demandons à Sihame Haddioui si, près de deux ans et demi plus tard, elle regrette son dépôt de plainte. Non, affirme l’échevine. Mais elle rappelle – comme elle l’avait déjà exprimé à La Libre – que la démarche n’est pas aisée, surtout lorsqu’on s’attaque à un personnage public.
Et de conclure : « Et puis ma plainte, même s’il n’y en avait qu’une, aurait dû permettre une remise en question de ce qui se passe au sein de la sphère politique quand on parle de violences sexuelles. Il a fallu qu’un « Me Too politique » soit lancé. J’ai l’impression qu’on en attend un peu trop de la part du mouvement, comme s’il fallait absolument un nombre important de plaintes pour qu’un changement de mentalité soit amorcé. On ne peut pas capitaliser sur le courage des victimes de violences sexuelles pour espérer un changement, le courage doit d’abord venir du politique.«