Le « piège de Thucydide » fera-t-il exploser l’union entre le MR et Les Engagés ?
C’est la crise à Wavre et à Nivelles. Les Engagés avancent avec le PS et les Ecolos en laissant tomber le MR qui était au pouvoir dans ces communes du Brabant wallon. Plus généralement, la montée en puissance du parti de Maxime Prévot pourrait faire de l’ombre au MR. Une guerre est-elle inévitable ? L’histoire grecque donne quelques indications…
- Publié le 16-10-2024 à 06h33
Un passage de La Guerre du Péloponnèse de Thucydide est devenu un classique. Selon l’historien grec, la lutte qui opposa l’hégémonique Sparte à Athènes était la conséquence de la montée en puissance de cette dernière. Par un enchaînement mécanique, les deux cités-États devaient entrer en opposition, Sparte s’inquiétant de l’émergence de sa nouvelle rivale. La science politique américaine a donné un nom à la tentation funeste de la guerre qui excite le dominant contre le challenger : le « piège de Thucydide ».
L’ascension des Engagés
Le MR et Les Engagés s’affronteront-ils un jour sur le modèle de Sparte et d’Athènes ? Les élections de dimanche ont démontré à quel point le mouvement de Maxime Prévot était poussé par un vent favorable. Les libéraux restent les premiers en Wallonie et améliorent très légèrement leurs résultats de juin. Mais les turquoises se classent désormais en deuxième position, après avoir doublé le PS. Dans les urnes, Les Engagés (24 % aux provinciales) se rapprochent de plus en plus du MR (29,8 %). Quitte à le dépasser un jour ?
En tout cas, la formation centriste, bâtie sur les cendres du CDH, ne peut être réduite à un parti satellite des libéraux. C’est la musique qu’aiment jouer ses adversaires, qui laissent entendre que Maxime Prévot est inféodé à Georges-Louis Bouchez et à sa merci. Cela ne semble pas être conforme à la réalité du pouvoir, surtout depuis dimanche. Si leurs partis respectifs ont uni leur avenir pour les cinq prochaines années en Wallonie, à la Fédération et, bientôt, au fédéral, il en va autrement à l’échelon local.
Wavre, le casus belli
À Wavre, par exemple. Les Engagés ont négocié un accord avec les Ecolos et les socialistes. Ce deal rejette les bleus dans l’opposition. Ce n’est pas neutre, la commune de Charles Michel était un bastion symbolique du MR. La perdre à cause d’une manœuvre à laquelle a participé le partenaire « azuréen » provoque quelques aigreurs d’estomac avenue de la Toison d’Or, au quartier général des réformateurs à Bruxelles. À l’heure d’écrire ces quelques lignes, Georges-Louis Bouchez menaçait de faire sauter la majorité MR-Engagés promise dans la Province du Brabant wallon si les turquoises ne préservaient pas ses troupes dans la Cité du Maca.
À Nivelles, autre commune brabançonne, même coup théâtre. Le bourgmestre Pierre Huart (MR) est renvoyé dans l’opposition. Après une intense négociation nocturne, un pacte Engagés-PS-Écolo a été conclu.
La leçon de ces épisodes : Les Engagés n’ont pas (trop) de problème à accepter ou à promouvoir des alliances « Olivier » (socialistes, écologistes et Engagés) là où elles sont possibles. Quand cela se déroule dans le Brabant wallon, où bleus et turquoises sont particulièrement en compétition, cela peut être interprété par le MR comme autant d’actes hostiles.
Deux salles, deux ambiances
Depuis quelques jours, le ton a changé chez Les Engagés et cela n’est pas passé inaperçu chez l’allié libéral. Georges-Louis Bouchez, avant les scrutins de dimanche, avait annoncé qu’il défendrait les coalitions MR-Engagés partout où elles seraient possibles dans les communes et les provinces. On a senti un peu plus de prudence chez les turquoises. Pour nuancer, à Namur, Maxime Prévot, muni de sa casquette de bourgmestre, a dégagé Écolo de sa coalition pour ne plus gouverner qu’avec les libéraux. Le contexte politique local reste la première grille de lecture à appliquer pour comprendre la formation des coalitions.
Il n’empêche qu’au MR, certains commencent à s’inquiéter de l’étonnante vitalité des Engagés lors des élections. Les victoires des turquoises ont été construites par la captation d’électeurs des verts mais aussi d’électeurs libéraux effarouchés par le « style Bouchez ». Le président libéral a arraché le triomphe de son parti en juin et en octobre en jouant dans le registre de la droite populaire. De la sorte, il a porté le MR à des scores historiques, notamment en convainquant d’anciens partisans du PS.
Les Engagés plus souples que le MR ?
Cette recette – efficace – a également laissé de la place à l’émergence d’une nouvelle force de centre/centre droit. Si le mouvement devait s’amplifier, si Les Engagés menaçaient de dépasser le MR dans les sondages, le « piège de Thucydide » pourrait se refermer sur les deux partenaires de gouvernement. En cas de conflit ouvert, le MR aura un problème car il dispose de moins d’alternatives pour former des majorités. Des coalitions MR-PS ou MR-Écolo existent, bien sûr, mais elles coûtent toujours cher aux libéraux en termes d’image. Un parti de droite qui transige avec la gauche décevra toujours plus ses militants qu’un parti centriste qui opte pour le même type d’alliance.