Recriminaliser la mendicité en Belgique? « Cela n’a aucun sens. Au contraire, il faut consacrer dans la loi le droit de mendier »
À trois jours des élections communales, les politiques en campagne alignent leurs dernières cartouches pour tenter de séduire des électeurs. Parmi celles-ci, figure l’idée de recriminaliser la mendicité sur tout le pays, pourtant sortie du Code pénal il y a trente ans. Comment composer avec la mendicité? Georges de Kerchove, membre du Mouvement ATD Quart Monde Belgique, pointe du doigt l’état d’infraction dans lequel se trouvent aujourd’hui deux tiers des communes belges.
- Publié le 10-10-2024 à 14h30
La procédure est toujours en cours, le verdict espéré pour 2025. Georges de Kerchove est un des rédacteurs du recours que son association, le Mouvement ATD Quart Monde Belgique, a introduit en novembre 2023 (avec la Fédération internationale pour les droits humains) auprès du Conseil de l’Europe. L’objectif : contraindre la Belgique à reconnaître, dans un texte légal, le droit de mendier. Par là, aussi, l’intéressé épingle l’état d’infraction dans lequel se trouvent aujourd’hui pas moins de 253 communes belges qui pratiquent pour partie ou totalement l’interdiction de la mendicité sur leur territoire.
« Rendez-vous compte : sur les 305 communes qui ont pris un règlement anti-mendicité, 253 ont adopté des mesures qui sont contraires à la charte sociale européenne, au principe énoncé dans l’arrêt ‘Lacatus contre Suisse’, du 19 janvier 2021 », expose-t-il. Dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme affirme pour la première fois qu’on ne peut pas interdire la mendicité de façon générale, qu’elle peut toutefois être réglementée. Sur cette base, les associations ont introduit une réclamation collective auprès du Conseil de l’Europe, plus précisément auprès du Comité européen des droits sociaux, pour faire reconnaître explicitement le droit de mendier lorsqu’on n’a pas d’autres moyens de survie.
« Si, à terme, ce droit de mendier est inscrit dans une loi fédérale, les communes seront bien forcées de revoir leurs réglementations. Car il faut le souligner : la suppression de l’interdiction du vagabondage du Code pénal en 1993 n’a pas empêché les communes d’introduire par la bande une interdiction partielle ou totale de la mendicité au niveau local. » Et le même d’illustrer : « À Namur, Tournai, Charleroi, il existe des règlements anti-mendicité à géométrie variable. Dans un dossier relatif aux Fêtes de Wallonie, par exemple, la Ville de Namur est parvenue en toute illégalité à interdire temporairement la mendicité. Des policiers de la Ville ont réagi dans la foulée en déclarant qu’ils étaient contraints de déplacer des mendiants, pourtant moins gênants que des trottinettes laissées à l’abandon sur le trottoir… »
Entre 200 et 300 euros à charge de l’Etat pour un jour de détention
Pour Georges de Kerchove, recriminaliser la mendicité en Belgique n’a aucun sens. « Un tel retour en arrière serait par ailleurs tout à fait inutile, soutient-il. La mendicité agressive ou celle avec enfants sont déjà sanctionnables aujourd’hui. Il ne faut donc pas ajouter de nouvelles sanctions. Et puis, quoi ? Dans la mesure où ces personnes sont insolvables, allez-vous les mettre en prison ? Je rappelle à nos politiques qu’un jour de détention coûte à l’État entre 200 et 300 euros. »
Plus généralement, l’intéressé souligne l’importance de ne pas se tromper de débat : « Ce n’est pas contre les mendiants qu’il faut lutter, mais bien contre la pauvreté. » Les dernières recensions montrent que le nombre de sans-abris a quadruplé en une décennie en Belgique. « Dès l’instant où une personne se retrouve à la rue, la protection sociale est aléatoire, ce qui fait qu’elle est amenée à mendier pour survivre. Pour tenter de réduire la mendicité, je pense qu’il faut majorer les revenus minima (CPAS, RIS, chômage de longue durée, NdlR) pour les ramener au niveau du seuil de pauvreté. D’autre part, il faut supprimer le statut de cohabitant légal qui – dans le cadre de la procédure relative à la domiciliation de référence du sans-abri – sanctionne le droit de vivre en famille. Dans le même registre, il est tout à fait aberrant de demander à la personne qui se retrouve à la rue qu’elle apporte la preuve qu’elle est à la rue… Bref, commençons par faire sauter ces verrous. Ce sera sans nul doute bien plus utile. »