Belgique

« Attribuer les difficultés de l’école aux élèves et aux familles et brandir des sanctions pour les améliorer, c’est jouer au pompier pyromane »

Lancée par la ministre Glatigny, une enquête à la méthodologie et à la déontologie douteuses ignore la violence que l’institution scolaire peut imposer à certaines familles. Nous dénonçons la manipulation que constitue cette enquête et demandons que la problématique des relations entre les familles et l’école soit abordée avec plus de sérénité.

Bruxelles - Auderghem: Ecole secondaire Freinet - Les élèves du cours de morale débatent de problématiques sociétales au sein de leur classe de troisième
Si la question du respect à l’école est essentielle, celui-ci ne peut être dû qu’aux seuls enseignants. ©JC Guillaume

Une carte blanche signée par Appel pour une Ecole démocratique, ATD-Quart Monde Jeunesse, Changements pour l’Egalité, Infor-Jeunes Laeken, Ligue des Droits de l’Enfant, CGSP-enseignement et SEL-SETCA.

En lançant une enquête auprès des enseignants, la Ministre Valérie Glatigny (MR) prétend constituer un baromètre du respect des enseignants.

Voici comment l’enquête est introduite : « Dans une démarche d’amélioration continue de notre système éducatif, l’Administration générale de l’Enseignement souhaite connaître votre opinion en tant que membre du personnel de l’enseignement. Nous vous invitons donc à participer à une enquête en ligne intitulée « Baromètre du respect ». Vos réponses, entièrement anonymisées, seront essentielles pour orienter nos actions futures ».

Contexte

Le nouveau Gouvernement a publié une déclaration de politique communautaire (DPC) qui entend « mettre en place des dispositifs de prévention et de sensibilisation des familles relativement au respect des membres du personnel » et « renforcer l’arsenal juridique protectionnel (sic) du personnel de nos écoles contre toutes les formes de violence qu’il peut subir ».

Cette DPC concernant l’enseignement a été présentée à plusieurs reprises dans divers médias par la Ministre Glatigny comme empreinte d’une volonté de lutte contre la pénurie par revalorisation de l’attractivité du métier : des jeunes plus vite stabilisés grâce à des CDI, des aménagements de début et de fin de carrière, et des sanctions plus importantes pour protéger les enseignants qui seraient victimes d’intimidation ou de harcèlement.

Hypothèse ?

On peut donc considérer sans trop s’avancer que l’enquête est fondée sur le narratif suivant qu’elle vise à confirmer : les parents ne s’impliqueraient pas assez dans le parcours de réussite de leurs enfants, contesteraient les savoirs et l’autorité des enseignants, et iraient jusqu’à user de diverses formes de violence envers eux. Les enseignants ne se sentiraient protégés ni contre ces comportements des parents, ni contre ceux des élèves, ce qui expliquerait qu’ils quittent le métier. Il faudrait donc sensibiliser les parents et renforcer les sanctions à l’égard de ceux qui n’ont pas compris.

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Le choix de la période électorale des élections communales pour lancer cette enquête démagogique laisse peu de doute sur ses intentions.

Si la question du respect à l’école est essentielle, celui-ci ne peut être dû qu’aux seuls enseignants. La mise en place très récente de l’Observatoire du climat scolaire avait, elle, pour objectif de regarder les problèmes de l’école grand angle et de façon équilibrée, incluant aussi le respect dû par les directions et… par le gouvernement !

« Preuve »

En ce qui concerne l’enquête elle-même, le premier des respects aurait été d’en confier la mesure à un outil solide, fiable et méthodologiquement sérieux. Quels scientifiques ont validé un questionnaire semblant rédigé à la hussarde et dont certaines formulations semblent bien équivoques ?

Stratégiquement, il s’agit ici pour le Gouvernement d’apporter, par cette enquête à la méthodologie et à la déontologie douteuses, la « preuve » qu’il se place aux côtés des enseignants pour les protéger contre un manque de respect qui viendrait unilatéralement des parents et de leurs enfants. De la même façon qu’il tente de faire passer la suppression de la protection des statuts des enseignants et son remplacement par une contractualisation pour une revalorisation de leur métier.

S’il est indéniable que beaucoup d’enseignants manifestent leur désarroi face à la détérioration de leur bien-être au travail, et que cette souffrance mérite d’être reconnue, l’enquête semble mettre toute la faute de cette détérioration sur le dos des parents et élèves, et ignore complètement la violence que l’institution scolaire peut imposer à des familles, notamment de milieux populaires. Par ailleurs, le choix de la période électorale des élections communales pour lancer cette enquête démagogique laisse peu de doute sur ses intentions.

Avec cette enquête partielle et partiale, le cabinet Glatigny va à la pêche aux confirmations du bien-fondé de son hypothèse et met toutes les chances de son côté en caricaturant, dans la formulation de ses questions, des difficultés que tout enseignant a déjà éprouvées.

Du respect !

Nous, organisations membres de la Plateforme de Lutte contre l’Échec Scolaire, dénonçons la manipulation que constitue cette enquête et demandons que la problématique des relations entre les familles et l’école soit abordée avec plus de sérénité. En jetant de l’huile sur le feu, la Ministre ne fera que durcir les relations là où elles sont déjà parfois tendues. Attribuer les difficultés scolaires aux comportements des élèves et des familles et brandir des sanctions pour les améliorer, ce n’est pas seulement faux, c’est aussi jouer au pompier pyromane. C’est tenter d’accréditer l’idée que l’avenir de l’école passe par le retour d’une autorité pure et dure, alors que seul le respect partagé permet des apprentissages féconds, dans une ambiance apaisée. La peur du maître n’est en aucun cas un choix pédagogique. Les problèmes que rencontrent les professeurs, les élèves et les parents sont systémiques et appellent des solutions à la hauteur de ces enjeux, sans dresser les acteurs fondamentaux de l’éducation les uns contre les autres. Rappelons que notre système scolaire reste un des plus inégalitaires et ségrégués de l’OCDE, ce qui constitue en soi une violence.

Nous appelons la Ministre à renoncer à ce simulacre d’enquête et les enseignants à la boycotter.

Nous appelons le Gouvernement, s’il souhaite établir une politique publique de ce nom pour le respect à l’école et l’amélioration du climat scolaire, à se référer aux très récentes enquêtes méthodologiquement rigoureuses de l’ULg-UCLouvain (2023).

Seul un service public digne de ce nom, au service duquel des fonctionnaires respectés peuvent travailler dans de bonnes conditions et sans crainte de perdre leur emploi, et au sein duquel des usagers peuvent se faire entendre lorsqu’ils sont en difficulté, est susceptible d’assurer un avenir à l’école.